dimanche 7 février 2021

Couvre feu à Mantet

 Depuis mon dernier article, "Couvre feu à Fuilla", les choses ont changé: je suis toujours au bord de la même route, mais cette fois, au terminus de la route. Au delà, il n'y a plus rien que vallées, beaux paysages, montagnes et Espagne. Autre changement, le couvre feu est avancé de deux heures, soit à 18 heures, on est donc confinés à mi-temps.

Mais cette fois, le village où je suis est au bout du monde, on ne le traverse pas, on y va, c'est une impasse, d'ailleurs on n'y passe même pas, on se gare à l'entrée.

Mantet

Un village confiné dans son statut de bout de la France et je me confinerais bien là bas...Y arriver, c'est déjà avoir fait 23 km de petite route sinueuse à souhait, 11 km depuis le dernier village et 16 lacets, c'est...changer de vie. C'est l'oubli. C'est regarder le monde avec le regard d'avant, ou avec un regard neuf, celui qu'on retrouvera peut être un jour.

 Il faudra du temps, il faudra aborder aux rivages de l'oubli.

                                                  -------------------------------------------

Ce récit va conter deux soirées de couvre feu, aussi différentes que possible. à dix jours d'intervalle.

Il avait neigé la nuit précédente et dans la chaleur douce de mon camion, j'avais attendu le matin pour aller promener mes pas craquants sur la neige et le gel des sentiers. Glissants aussi, mes pas, mais heureux, libres et détendus. Un pas élastique ravi de retrouver les grands espaces. Et un coeur qui retrouvait la vie.

Vallée de l'Alemany, 25 janvier


Le soir venu, bien après que la lune se fut levée en caressant la cime des sapins, je partis dans la nuit devenue noire et le couvre feu bien entamé, visiter le petit village de nuit. Il  n'y avait que le silence, la lumière dorée des lampadaires, le froid mordant, la neige figée et gelée qui rendait le pas hésitant, les cordes tendues au long des ruelles/escaliers dans ce village qui plonge impitoyablement vers la rivière, et vers la noire nuit. Malgré la lune. Mon pas s'essayait au silence, je ne voulais pas me faire remarquer. Mais je n'étais pas seule. Dans ce village de 32 habitants, 10% de la population était dehors. Oh...juste 3 habitants ! Qui à sa terrasse pour humer la nuit, qui devant sa maison pour fumer une cigarette.

Pas un fil électrique n'est visible dans les rues




Ce village fut le dernier village de France à être électrifié : 1983


 Quelques paroles échangées, la vie est normale ici, ce serait dommage de vivre différemment d'avant. Je pensais passer inaperçue, rasant les murs et me voilà le point de mire des courageux de la nuit. Mais on bavarde, on échange quelques phrases, on plaisante, on se gèle un peu et j'ai l'impression d'être dans un grand décalage! Dans mon village de mille habitants, je me garde bien de sortir après 18 h alors que personne n'arpente les rues, mais "la mauvais rencontre" y est fort possible, et l'ouverture du porte monnaie qui va avec. Là bas, la pensée ne me vint même pas...Quelques personnes au milieu de nulle part et on se sent protégé, de tout et de tous.






Je remontai vers "mes appartements", sereine, heureuse, non pas d'avoir transgressé la loi, simplement d'avoir retrouvé la vie. Alors que la lune jouait de couleur avec les lanternes orangées.

Remontée au parking


                                                                ------------------------

Dix jours plus tard : me revoici au même lieu, toujours perchée sur mon parking belvédère. La neige a fondu et la nature roussie semble éteinte, mes yeux cherchent déjà le parcours de ma randonnée du lendemain. 

Vallée de l'Alemany, 1er février

Soudain une envie s'impose à moi : aller marcher. Il est 17 h 30 et cette fois j'ai oublié que le couvre feu existe. Je ne vais pas le transgresser, je l'ai juste oublié tant, lorsque j'arrive ici, je laisse de l'autre côté du col la "vie d'en bas". Alors je pars, sur les pelouses roussies, petit sac, lampe frontale, kway, je pars vers l'inconnu, les anciennes terrasses cultivées et les vieux cortals repérés sur la photo aérienne. 
Vues d'en face, les anciennes terrasses, exposées sud, sud/ouest


Et l'inverse






Cette fois j'ai du réseau, cela me permettra d'affiner mes recherches, ne pas perdre du temps et retrouver mon chemin. "Le coeur léger et le bagage mince" chantait jadis Aznavour, c'est tout à fait  cela. Je ne penserai au couvre feu que lorsque j'arriverai dans la nuit presque tombée, quand le sentier sera quasi illisible et que je me refuserai à allumer la frontale pour profiter de ces multiples bienfaits de la nuit. 19 h ne sonneront pas au clocher voisin, il est muet! Mais avec stupéfaction je me dirai : "Mais c'est couvre feu !!" Et cette fois, je l'ai bien oublié...



La soirée est extraordinaire, cela sent l'herbe sèche et la pierre mouillée, cela sent le printemps. Il y a dans l'air une fragance, une douceur, j'entends un rossignol près de la rivière tout en bas, et plus tard hululer un oiseau de nuit. 

Dromadaire de pierre

Et j'ai bien profité de mes trouvailles : feixes ou terrasses joliment et péniblement édifiées, murettes solides et esthétiques, cortals (bergeries) modestes mais solides, avec  leurs pierres d'angle triangulaires, astuce de construction que je n'ai vue nulle part ailleurs. Je n'en manquerai pas un, et si la bonne idée de randonner m'avait prise plus tôt, j'aurais pu descendre à la rivière et revenir par sa rive avant que de remonter au village en une solide rampe de 100 m de dénivelé. Ce sera une prochaine fois, rien ne s'en ira, rien ne changera là bas et surtout pas cette quiétude de vie dont je savoure la moindre miette.

En images...


En bas, vallée du Mantet

Pierre d'angle

Balade sur le mur
Juste à ma taille !
Il paraît que ces terrasses (feixes) étaient parcourues de petits canaux, mais je pense que je les chercherais en vain; le temps les a sûrement comblés.




Le rocher naturel sert de support







Là haut, vers les plateaux et l'Espagne


En chiffres: 4 km de balade, presque pas de dénivelé.


6 commentaires:

  1. magnifique comme toujours. La nuit m'inquiète, mais j'adore tes descriptions nocturnes. Py, Mantet ce territoire qu'arpentaient mes aïeux. Il y avait dans la dernière succession un droit de pacage que mon cousin voulait échanger avec les promoteurs belges dans les années 60. Rien ne s'est fait et c'est tant mieux. Il y aurait eu là-bas une station qui aurait défiguré cette montagne que tu nous racontes si bien. Merci Amedine

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah je me félicite que cela ne se soit pas fait, là bas, Py, Mantet, c'est encore un ailleurs, un avant, un autrefois, un immuable, un régal. J'aime ces deux villages même si Mantet m'ouvre davantage d'horizons mais ma nuit à Py fut un havre de paix aussi. Et les 2 randonnées que j'ai faites en appellent d'autres. Oui la nuit m'attire, j'ai souvent envie de quitter ma maison le soir et d'aller arpenter la campagne. Je l'ai eu fait mais j'ai peur ! Des sangliers qui abondent jusques aux portes du village....Alors je ne bouge pas, je me rattrape à Mantet !

      Supprimer
  2. toujours aussi beau recit. j y ai retrouvé mon ressenti dans ce village dans un autre monde. ce village a vraiment quelque chose de particulier que je n arrive pas a décrire. merci pour ces photos où je retrouve aussi mes sorties de nuit pour respirer cet air d une autre planète.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui ce village a une atmosphère particulière qui vient peut être de sa situation géographique et historique. Puis il a été soumis à des violences, inondation (le village a du remonter dans la pente), avalanche, les gens y ont souffert pour tires la substantifique moelle des possibilités agricoles, des moulins, des forges à bras, de la grande forge. Longtemps isolé du monde, ne vivant que sur lui même, il a gardé une âme farouche, je pense. J'ai lu l'histoire de Mantet. C'est beau. En tout cas on a bien un point commun c'est d'aimer tous les deux ce site d'exception

      Supprimer
  3. Les balades de nuit sont un délice, tu as parfaitement raison, le moindre bruit perçu laisse place à l'imaginaire, et ce petit village est loin de donner une image d'insécurité. J'adore autant qu'Alain déteste

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Alain déteste ?? Les balades de nuit ? Mantet de nuit ? Oh il ne changera pas d'avis à mon avis...hihi. Bisous. On le mettra aux fourneaux et on ira rôder

      Supprimer