vendredi 8 février 2019

Histoires inachevées

La vie est faite d'histoires inachevées.
J'en sais leur couleur, leur parfum, leurs fêlures, leurs fissures, leurs fractures.
J'en sais les portes ouvertes et non refermées.
J'en sais les mots et les maux.
Il ne faudrait jamais entamer ces histoires, pour ne pas les voir finir inachevées.
Mais c'est la vie qui veut ça, on ne peut y échapper.

Une histoire inachevée, parmi d'autres
Mais une histoire douloureuse:
Lison

C'est le deuil impossible, d'un être cher, trop tôt, trop vite disparu et qui nous laisse orpheline au bord de la vieillesse.
Ce sont des humains disparus, envolés, jamais revenus. Qui nous laissent seule au bord de la route grise.
Ce sont nos animaux familiers qui partent et nous laissent les mains vides de quelque chose, d'un amour sans faille. Chat grins, chagrins...
Les grains du chapelet d'une vie qui s'écoule.
C'est la nature que l'on voit vieillir, mourir, les arbres que l'on contemplait depuis l'enfance, les vignes qui couvraient nos collines...Et qu'on aurait aimé voir jusqu'à la fin. La fin de qui ? La leur est venue trop tôt, la fin d'une époque. Voir sans fin arriver des fins.

Ariège; novembre 2010

Plus on vieillit, et plus on traîne après soi des histoires inachevées.
Je les hais ces histoires inachevées et pourtant comme je les aime, aussi, car elles ouvrent de nouvelles portes, une nouvelle histoire qui commence et nous renouvelle à chaque deuil.
Une nouvelle histoire dont on va découvrir les premières lignes, en souhaitant que les dernières soient loin, très loin dans le temps.
Mais au fur et à mesure que passe le temps, elles nous fatiguent ces nouvelles histoires, histoires à entamer, histoires à clôturer.
Alors on choisit...on choisit qui...on choisit quoi...
Choisir un animal ? Et si c'est nous,vieillissants, qui partons trop vite et le laissons seul au bord du chemin? Mais non ! Suis je sotte ! Ce sont eux qui nous choisissent, contre cela on ne peut rien.

Ariège, novembre 2010

Choisir des amis...ah l'amitié...fragile, pleine de tempêtes et de deuils aussi. Le deuil d'un ami, d'une amie, il est douloureux aussi. J'en connais le poids, l'épaisseur .
L'amour ? On lui a fermé et barricadé la porte, de ce côté là on est protégé, forteresse aux murs épais.
Alors qui choisir?
J'ai fait mes choix, c'est moi qui les abandonnerai, mes vignes, les montagnes, les sentiers de la Liberté.
J'ai choisi la Liberté, la Solitude. Elles me vont, comme un gant. Elles épousent mes jours et mes nuits, mes balades et mes voyages, dans la paix. La sérénité.
Ariège 2010

Mais j'y songe ! Elles aussi vont devenir des Histoires inachevées...
Décidément, en ce bas monde, la seule histoire bien achevée, 
c'est la Vie.

Mon père
Eté 2018

A mon père
A ceux que j'aimais qui sont partis



mercredi 6 février 2019

Le Moulin de Monsieur

Il existe vraiment, en Hérault, je l'ai rencontré (le moulin, car de Monsieur en ces contrées désolées ce jour d'hiver...et de Héros...pas davantage).

Le Moulin de Monsieur (zoom)

Comme l'indique mon blog "les balades de Lison" , mon "terrain de chasse" actuel se situe à basse altitude, en plus haute latitude, un peu plus à l'ouest, bref, en Hérault et, plus précisément en bordure de Cesse.

La Cesse est cette rivière de 57 km qui entaille le plateau calcaire en ayant généré au fil du temps plein de curiosités.
Parmi lesquelles un certain nombre de moulins.
L'un d'entre eux porte le nom de Moulin de Monsieur et, en ce jour glacé (zéro degré et des petits papillons de neige), je m'acharne à en trouver l'accès.
Car, bien sûr, rien n'est indiqué, l'endroit n'étant pas touristique à souhait. Gérard et Catherine, les deux seuls humains du week end, me donnent quelques renseignements. Le point tourisme, en bord de route,  je l'ai vu, donc je m'y rends mais de départ de sentier, il n'y en a point. Alors je cherche ! Une ébauche de sente me conduit juste à un immense pylône mais me donne une vue générale que je scrute : un sentier se faufile en dessous et, au vu de son profil, le départ devrait être ailleurs. Qu'à cela ne tienne...


Le causse, les corniches, la Cesse (tout au fond) et un morceau de sentier

Je prends un bon repas chaud ce qui n'est pas du luxe et je pars vers ce que je pense être le bon endroit car il y a une saignée dans ce front rocheux : et voilà, au bout d'un chemin de vigne glaiseux, mon sentier qui se dessine.

Beau paysage au printemps, à n'en pas douter, et sous le soleil 
1/4 d'heure m'a dit Gérard et pour me réchauffer, je ferai tout le chemin au pas de course : j'ai de bonnes chaussures bien cramponneuses! Au pas de course car c'est en descente.
Départ du sentier : chemin de vigne

Le sentier rocailleux

Je viens du petit col

Le sentier en lui même est intéressant : sachant que c'est celui du moulin on imagine sans peine qu'il a été emprunté par des attelages portant grain et farine . Ainsi les nombreux lacets destinés à couper la déclivité et les murs de soutènement car le sentier a non seulement été bâti mais encore il se devait d'être solide ! Une vue aérienne capturée sur Géoportail en donne un aperçu :

Les lacets du sentier (Géoportail)


Murs de soutènement du sentier 

Et murailles naturelles du causse
 Dans un tel décor, surmonté de falaises calcaires, les pluies sont meurtrières et le chemin porte en maint endroit des traces de bétonnage. Il a du être emprunté pendant des décennies, voire des siècles.

La Carte de Cassini (1770 environ) ne porte pas ce moulin mais celui de Fabas oui, qui serait donc le plus ancien ?

La carte de Cassini (1750)


La carte IGN, même lieu 

Mes recherches sur le Moulin de Monsieur ne sont pas fructueuses, ma curiosité restera donc piquée et insatisfaite.
Le sentier s'adoucit et le son de la rivière monte en décibels. Elle se remet d'une récente crue, elle prend sa source au Pays des Neiges, soit Ferrals les Montagnes qui en cette période subit des chocs climatiques et elle est bien pourvue en eaux vives, d'un gris bleu réussi.


Eaux vives , gris bleu et sûrement glacées !!

 Du moulin, la meilleure vue est celle faite du sentier car le toit émerge d'un fouillis végétal.
Avant d'arriver au moulin (il faut dire que le lieu est sinistre, glacé, désert et mouillé ) un gros orifice dans la paroi calcaire laisse deviner une résurgence intermittente , comme j'en ai rencontré dans les Gorges de la Vis (Hérault).


Le "trou du souffleur" ou du cracheur d'eau

 Me voilà arrivée au moulin, posé bien à plat dans une clairière à ras de l'eau; quelques petites terrasses montrent une activité agricole autrefois, ou du moins elles sont liées à l'activité du moulin : stockage des grains, des sacs de farine, parc à animaux, que sais-je, l'imaginaire permet tout.
Ce qui est bien réel, ce sont des ruines indéchiffrables, couvertes de végétaux, une meule posée au sol et un bief enfoui mais visible qui amenait l'eau prise en amont jusqu'au moulin

La meule 


Un pan de ruine, en fait le moulin était vaste


Murette longeant le canal qui conduisait l'eau au moulin
venu de l'amont , une centaine de m tout au plus
Je suis le bief jusqu'à son départ, une falaise le barre, l'entrée était donc là.
Aujourd'hui, de l'autre côté de la rivière, dans une petite prairie, se trouve une station de pompage , ce qui explique la ligne électrique suivant le sentier.


L'amorce du gué qui est porté sur la carte IGN

Au niveau du gué


La carte d' Etat Major (1820/1866) montre qu'à l'aplomb du moulin se trouvait un gué et un chemin en lacets remontant le versant nord, car le moulin desservait nombre de lieux. Sentier disparu sur les cartes d'aujourd'hui, mais sous le couvert végétal on doit bien en trouver quelques traces et murs.
Traverser aujourd'hui serait suicidaire à plusieurs titres : noyade ou hydrocution ...lol, je choisis de rester au chaud dans ma peau !
Carte Etat Major avec l'ancien chemin
 traversant la rivière (Géoportail)
Il ne me reste plus qu'à refaire le chemin à l'envers mais la rivière m'a livré un étonnant secret, par le biais de Gérard .
Au solstice d'été, le 21 juin exactement, la rivière s'enfouit dans le sol ici , au Moulin de Monsieur !
Allez savoir pourquoi cette date précise.


Vue aérienne montrant la coupure nette de la perte des eaux
 de la Cesse (Géoportail)

Mais elle ressort bien plus loin, 15 km environ,  et je vous le donne en mille ! Au Moulin de Madame (déjà marqué sur la carte de Cassini), à Agel, en amont de Bize Minervois, au lieu dit "Les marmites du Boulidou " qu'il ne faudra pas manquer, en été .

Résurgence à Agel, 15 km en aval
On voit bien la différence sur le lit de la rivière


Si on le nomme le Boulidou, comme se nomment certaines résurgences de France et de Catalunya c'est parce que l'eau sort en tourbillonnant.

"El bullidor de la llet"
Els Empedrats
Catalunya
IL ne coule pas toute l''année
mais il est blanc comme lait

Un bullidor au pied de la Serra del Cadi
Catalunya
Cette masse bouillonnante c'est de l'eau


























Alors, encore une "Affaire à suivre"......
Juste une question de temps (météo) et de temps encore (durée). Grr



ADDITIF : sur "Les balades de Lison", un autre sujet, tout proche, en un clic, "Les meulières de St Julien"