dimanche 30 mars 2014

Je pourrais..


Ici, à Navacelles, tout en haut, sur le rocher de la Vierge, je suis froidement balayée par un noir vent de novembre, habilement relayé par un chaud soleil de mars.


Qui font que je suis bien, perchée , mon cahier et mon crayon à la main, alternant écriture et dessin.

Navacelles depuis le coeur de pierre du méandre



J'entends, venue d'en bas, la musique de la cascade, et de la chute d'eau du ruisseau qui coule tranquille dans la prairie, devant le sommeil de mes nuits ici, chute coiffée et décoiffée par le vent que je devine à la mélodie irrégulière.



En bas, sur la pairie, j’entends le coq de Christine qui s’époumone et se tait pour faire faire à une poule non consentante un sprint furieux qui se terminera par…c’est le printemps….

Les chiens de Christine aboient et ses chats se terrent au chaud dans sa drôle de maison si chaleureuse. Christine…je sais déjà sa vie pleine de drames. 


Jardin et maison de Christine


Elle siffle ses chiens et le calme revient, même ici, en haut de mon perchoir. Personne ne sait que je suis là et j’écoute la vie de ce trou minuscule : un claxon joyeux, un camion qui s’essouffle dans la côte, les coups de sarcloir de la grand mère bougonne qui prépare son jardin sous le regard immobile de trois chats qui ne sont pas siens.



Navacelles arrive à moi que personne ne devine juchée sur mes gradins de pierre grise. A mi chemin entre le Causse et la Vis, entre ciel et terre, entre ciel et eau. Je flotte dans un drôle de paysage.




Moi, je pourrais rester  perchée là, sur ces gradins naturels et y passer des heures et des jours. Je pourrais y dévider mon présent comme un écheveau de laine, en me contentant de mes impressions, de mes sensations, de mes petits bonheurs du jour, en pensant aussi à ceux que j’aime, laissés là bas, loin, « en bas ».
Je pourrais voir changer les saisons, verdir et pleurer le Causse, jaunir et rougir les buis en respirant leur âcre parfum que j’aime tant.



Je pourrais ressentir le froid de novembre et la torpeur de juillet en écoutant le chant monocorde des poules de Christine.
Je pourrais peut être, en plus du chant de l’eau , entendre rouler une pierre issue de ces gros blocs que la nature a pris elle même soin de tailler comme des pyramides égyptiennes ou des temples incas. Gradins, murailles, théâtre antique. Navacelles est un immense théâtre antique qui me reporte à  Pergame, Ephèse, ou Orange…
Je pourrais y entendre Aïda, Mozart, Nabucco, Carmen, que sais-je…tout ce que voudrais. Ou bien le silence immense des nuits étoilées.



Navacelles pourrait être inchangé dans mille ans si je revenais. J’emplis mes yeux de ce présent aux allures de passé et de futur, ce présent qui , aujourd’hui, est  le chant du coq, de l’eau et du vent, cette nuit, la griffure de la pluie, ce matin, au réveil, le ciel sulfureux et tourmenté que frangeait la dentelle rocheuse du Causse, mon ciel de lit.

Navacelles où j’aime venir, revenir, me poser, mais d’où jamais, jamais, je n’ai envie de partir.

Je pourrais , an après an, voir fleurir l’immense cerisier neigeux et la cascade mauve de la glycine, verdir et jaunir les prairies du méandre abandonné, se consumer la pierre sèche et ruisseler de toutes parts le Causse sous la tourmente des tempêtes cévenoles. Voir la Vis bleuir, verdir, jaunir au rythme des saisons et du climat, sans jamais faillir avec ses immuables 10° de température, alimentée par le monstre inconnu qui dort sous terre et lui donne la vie.



Cerisier

























Oui, ici, je pourrais me nourrir du naturel et du surnaturel.






Je pourrais, si je le voulais, me poser ici pour l’éternité….

Lathrée Clandestine (Lathrea clandestina)  plante parasite


                                                                                     

                                                                  Navacelles le 24 mars 2014

                            

vendredi 21 mars 2014

Le conférencier


Ce fut une bien étrange soirée…
Lorsque je pénétrai dans la salle de conférences, ce fut le chœur d’ Aida, de Verdi qui m’accueillit. Instant étrange car il n’était pas au programme de l’époque visitée, il servait juste de test à la sono.
Et pourtant Aida fut mon premier moment de musique dans ma vie.
J’avais 12 ans et en classe de 4 ème, le professeur de physique enseignait la musique. Il nous plongea de suite dans les chœurs d’ Aida que nous chantions en chœur –évidemment- et avec les notes seulement. Je ne les ai pas oubliées. Je les sais encore par cœur, 50 ans après… Ensuite je devins une adolescente passionnée de musique classique que j’écoutais tard dans la nuit sur le transistor moderne des années 60, dans ma petite chambre
Petite parenthèse, j’y vis un signe, celui  que la soirée allait m’amener sur des sommets.
Car mon rêve serait d’être trompettiste et de jouer Aida sur les hauts sommets enneigés des montagnes que je gravis…
Comme c’est étrange…
La salle se remplissait doucement et la conférence –le concert allais-je dire- commença.

Le thème était « La musique sous la Révolution et l’ Empire ».
Révolutionnaire, la conférence le fut. Impériale également…
Jean Claude, le conférencier , est devenu un ami.
Je l’ai rencontré en même temps que Rossini.
Il nous gratifia un jour, d’une magistrale « conférence » sur Rossini, qu’il semblait avoir cottoyé, avec qui il paraissait avoir noué des liens d’amitié, de fraternité dans une joyeuse débauche musicale.
C’est pourquoi on ne peut parler de « conférence » mais plutôt d’une vie partagée dans laquelle il nous a conviés à nous insérer. Un voyage hors du temps, du siècle, du quotidien.
Par la seule magie de sa passion.
En toute simplicité.

Alors, de la Révolution à l’ Empire, je tenais à faire ce voyage, moi la nulle en histoire.
Un régal..
Le temps se déroula chronologiquement, linéairement mais chaque événement, chaque
instant le fut en paroles et musiques. Sobriété des paroles, extraordinaire choix des extraits musicaux.
Ils ne nous étaient pas seulement donnés à entendre, à écouter, mais on y pénétrait par une porte secrète, comme dans ces coins secrets des châteaux, ouvertures dissimulées et on « était dans la musique », on entendait arriver les instruments, dialoguer les hautbois, arriver ces chœurs féminins, vibrer ces voix de basse masculines. Pleurer ce violon. Chanter cette mandoline.
Venus de France, d’ Italie, d’ Allemagne, d’ailleurs. Gossec, Beethoven, Cherubini , et d’autres familiers ou inconnus, même Mozart fut de passage. Invité anachronique qui avait juste un mot à dire.
Tout cela ne nous fut pas qu'expliqué didactiquement.


Gossec
1734-1829


Non, en surimpression de l’extrait, en un geste, un mot, un sourire, une vibration, Jean Claude nous ouvrait les portes des notes, des voix, des mouvements qui enflaient et s’éloignaient…Chef d’orchestre d’un moment qui nous invitait par un regard à accueillir ce qu’on voyait et qu’on n’aurait peut être même pas entendu. Par la magie de sa seule passion. Que dire ? ce serait trop long…




Beethoven
1770-1827
Pasiello
1740-1816

Mehul
1763-1817
Le Chant du Départ


Cherubini
1760-1842

Ainsi, entre la Bastille, Le Directoire, le Consulat, 
l’ Empire, les Batailles de la Grande Armée et la mort de l’Empereur, ce fut un voyage de deux heures où le temps fut suspendu. Cela aurait pu durer 3 heures, 4 heures, Jean Claude avait la magie de celui qui sait : qui sait sans forfanterie ni pédantisme, qui sait juste faire vivre, revivre, rêver, comprendre, aimer.
Parce qu’il « y était ».

Jean Claude Salomé orchestre la conférence

Je me suis penchée par la suite un peu sur cet homme qui m’a raconté son histoire.
Je l’ai soigneusement consignée.

Musicien, il ne l’est pas. Ou trop peu (par modestie peut être...)
Mélomane, sans aucun doute, lui qui n’a entendu toute sa carrière que le grondement monocorde des trains sur les rails, avec leur rythme saccadé et lugubre.
Comme c’est étrange.
La musique c’est un coup de foudre d’enfance, une passion d’une vie.
La musique, il la connaît, autrement, il la vit, elle l’habite, ils ne font qu’un dans une singulière alchimie qui mériterait à elle seule un roman.

Je cite simplement quelques extraits de son vécu enfantin.
«      Le grand déclic : Tout commence  au cours élémentaire 1ere année  ( je devais avoir 7 ans.)  Sur le tableau noir ( Le petit tableau  à droite dans la classe) : un texte  écrit à la craie , que je connais  encore par coeur, comme beaucoup d'autres.Texte  que je n'ai jamais oublié ,dont j'ai écouté la musique, et que j'ai  chanté des centaines et des centaines de fois :
 C'était  " Le duo de la déesse"  pour  voix de ténor et baryton ( Extrait des Pêcheurs de Perles de  Georges Bizet)  " ...
  L'instituteur eut la patience de nous apprendre cet air  difficile pour des enfants et de nous le faire chanter… »
Et aussi : «  - Aprés Bizet , ce fut l'extraordinaire " l'Hymne à la Nuit" de Rameau (…. ) Puis la 9eme symphonie de Beethoven (…)   Ensuite j'ai découvert avant 10 ans,  des airs  toujours  appris en classe :  L' air  d'Isis de l'acte 2  de La Flûte enchantée de Mozart - ( pour voix de basse )  -  Le "choeur des chasseurs"  de l'opéra  " le Freischutz' ( Le chasseur libre ) de  Von Weber  - -  La Barcarolle des contes d'Hoffmann d'Offenbach – (…) »

Ah ! Ces découvertes d’école….que d’empreintes elles ont laissées…

Il me parlera au cours de ces missives, d’orchestres, instruments, tessitures de voix, avec une remarquable technicité et simplicité, il me parlera des différentes interprétations d’un même morceau et dans quel but, il me contera sa façon de composer une conférence que j’apparente à la composition d’une musique par un musicien et lorsqu’il confère, croyez moi, ce n’est pas un texte qu’il dit, c’est un chœur d’opéra qu’il interprète en toute simplicité, avec les gestes du chef d’orchestre qu’il a rêvé d’être depuis son enfance et qu’il joue à être dans l’intimité de sa quête.

Bravo Jean Claude, tu me reverras souvent…



Additif :Pour les lecteurs locaux

De la part du conférencier Jean Claude Salomé : invitation...extraite de son mail.
                                       Amédine ,.....                
                         Puis je aussi pour les lecteurs locaux donner la date et le thème de mes conférences à Céret ?
   1°)       CERET  -  Médiathèque    :  Samedi  19  Avril  14h 15   avec un certain ....  " Giuseppe  VERDI"
                          -  Médiathéque    :  Samedi 25 Octobre 14h 15 : ( En principe  : MOZART et "La flûte enchantée")


    2°)  LE  BOULOU  -   Médiathèque  :   Mardi   03  Juin   14h 15  ( les mots ont la parole)  : " La Musique descriptive dans les oeuvres des grands compositeurs" -  (Musique qui s'attache à imiter ou à évoquer des phénomènes naturels, des événements, des lieux, des ambiances, ou des personnages : chants d'oiseaux, bruits de la forêt , saisons, orage, danses diverses, etc...


Voilà, chose faite et venez vous "régaler"...