Ici, à Navacelles, tout en haut, sur le rocher de la Vierge, je suis froidement balayée par un noir vent de novembre, habilement relayé par un chaud soleil de mars.
Qui font que je suis bien, perchée , mon cahier et mon crayon à la main, alternant écriture et dessin.
Navacelles depuis le coeur de pierre du méandre |
J'entends, venue d'en bas, la musique de la cascade, et de la chute d'eau du ruisseau qui coule tranquille dans la prairie, devant le sommeil de mes nuits ici, chute coiffée et décoiffée par le vent que je devine à la mélodie irrégulière.
En bas, sur la pairie, j’entends le coq de Christine qui s’époumone et se tait pour faire faire à une poule non consentante un sprint furieux qui se terminera par…c’est le printemps….
Les chiens de Christine aboient et ses chats se terrent au chaud dans sa
drôle de maison si chaleureuse. Christine…je sais déjà sa vie pleine de drames.
Jardin et maison de Christine |
Elle siffle ses chiens et le calme revient, même ici, en haut de
mon perchoir. Personne ne sait que je suis là et j’écoute la vie de ce trou
minuscule : un claxon joyeux, un camion qui s’essouffle dans la côte, les
coups de sarcloir de la grand mère bougonne qui prépare son jardin sous le
regard immobile de trois chats qui ne sont pas siens.
Navacelles arrive à moi que personne
ne devine juchée sur mes gradins de pierre grise. A mi chemin entre le Causse
et la Vis, entre ciel et terre, entre ciel et eau. Je flotte dans un drôle de
paysage.
Moi, je pourrais rester perchée là, sur ces gradins naturels et y
passer des heures et des jours. Je pourrais y dévider mon présent comme un
écheveau de laine, en me contentant de mes impressions, de mes sensations, de
mes petits bonheurs du jour, en pensant aussi à ceux que j’aime, laissés là
bas, loin, « en bas ».
Je pourrais voir changer les saisons,
verdir et pleurer le Causse, jaunir et rougir les buis en respirant leur âcre
parfum que j’aime tant.
Je pourrais ressentir le froid de
novembre et la torpeur de juillet en écoutant le chant monocorde des poules de
Christine.
Je pourrais peut être, en plus du
chant de l’eau , entendre rouler une pierre issue de ces gros blocs que la
nature a pris elle même soin de tailler comme des pyramides égyptiennes ou des
temples incas. Gradins, murailles, théâtre antique. Navacelles est un immense théâtre
antique qui me reporte à Pergame,
Ephèse, ou Orange…
Je pourrais y entendre Aïda, Mozart,
Nabucco, Carmen, que sais-je…tout ce que voudrais. Ou bien le silence immense des nuits étoilées.
Navacelles pourrait être inchangé
dans mille ans si je revenais. J’emplis mes yeux de ce présent aux allures de
passé et de futur, ce présent qui , aujourd’hui, est le chant du coq, de l’eau et du vent, cette nuit, la griffure de
la pluie, ce matin, au réveil, le ciel sulfureux et tourmenté que frangeait la
dentelle rocheuse du Causse, mon ciel de lit.
Navacelles où j’aime venir, revenir,
me poser, mais d’où jamais, jamais, je n’ai envie de partir.
Je pourrais , an après an, voir
fleurir l’immense cerisier neigeux et la cascade mauve de la glycine, verdir et
jaunir les prairies du méandre abandonné, se consumer la pierre sèche et ruisseler
de toutes parts le Causse sous la tourmente des tempêtes cévenoles. Voir la Vis
bleuir, verdir, jaunir au rythme des saisons et du climat, sans jamais faillir
avec ses immuables 10° de température, alimentée par le monstre inconnu qui
dort sous terre et lui donne la vie.
Cerisier |
Je pourrais, si je le voulais, me poser ici pour l’éternité….
Lathrée Clandestine (Lathrea clandestina) plante parasite |
Navacelles le 24 mars 2014