jeudi 14 novembre 2013

J'ai lu..."Ecrire la vie" par Annie Ernaux

J'ai découvert Annie Ernaux, en novembre 1984. Elle venait d'obtenir le Renaudot pour son livre « La place », un livre autobiographique écrit bien après le décès de son père; si ce récit est consacré à son père, il met aussi à jour « l'héritage culturel des dominés qu'elle a du oublier pour monter dans l'échelle sociale ». Elle en était alors à son 3 ème ouvrage. Plus tard j'ai lu « Passion simple », véritable dissection d'une passion et « Se perdre » qui reprend autrement ce thème. Annie Ernaux n'écrit que son vécu. Dans un style qui m'a souvent désorientée, voire déplu: une sorte de sécheresse journalistique, voire un véritable listing, comme pour prendre de la distance.



J'ai acheté 29 ans plus tard un volume de 1085 pages, intitulé « Ecrire la vie ».


Cet ouvrage commence par 100 pages de textes extraits de ses journaux intimes et des photos: on fait connaissance avec l'écrivain et c'est très bien. Ensuite, en douze textes, les récits et articles de journaux écrits par l'auteur sont regroupés dans l'ouvrage mais pas de façon chronologique: ainsi chacun peut commencer où il veut et selon son gré.


On découvre une femme qui livre son vécu même le plus intime, une grande réflexion sur la vie, les choses importantes comme les petits riens, dont elle s 'interroge pourquoi tel fait et non tel autre a attiré son attention, une réflexion sur sa famille, ses parents, ses relations, ses amours etc et on voit comment toute sa vie a été conditionnée par son enfance, son milieu et comment elle a vécu le changement de milieu puisqu'elle évolue dans d'autres sphères; dilemme parfois, mal être, les pieds dans un monde, le coeur dans un autre.
Un long parcours riche . Une interrogation permanente sur l'écriture, qui m'a particulièrement intéressée.
J'ai fini par m'habituer au style et même par l'apprécier: j'ai lu les 1085 pages.
Je vous invite à découvrir un écrivain, certes, mais surtout, une femme, tout simplement.



Je lis beaucoup, malgré toutes mes activités; je ne peux vous suggérer tout ce que je lis; je choisis un auteur et je lis plusieurs livres de lui pour bien m'imprégner.
En ce moment je relis Herbjorg Wassmo, une auteur norvégienne des Iles Lofoten, parce que j'ai trouvé son dernier livre paru: "Cent ans" et je ne peux pas ne pas vous le faire partager...

Alors, à bientôt...

lundi 4 novembre 2013

Les yeux

En lisant mon billet sur "Petit cimetière du grand sud" (clic)
mon amie Jackie m'a offert ce poème que je ne peux garder pour moi seule.
Alors, je vous l'offre, à mon tour.

                       
Les yeux


 Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Des yeux sans nombre ont vu l'aurore;
Ils dorment au fond des tombeaux
Et le soleil se lève encore…

les nuits plus douces que les jours
Ont enchanté des yeux sans nombre:
les étoiles brillent toujours
Et les yeux se sont remplis d'ombre

Oh! qu'ils aient perdu le regard,
Non, non, cela n'est pas possible!
Ils se sont tournés quelque part
Vers ce qu'on nomme l'invisible

Et comme les astres penchants,
Nous quittent, mais au ciel demeurent,
Les prunelles ont leur couchant
Mais il n'est pas vrai qu'elles meurent

Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux
Ouverts à quelque immense aurore,
De l'autre côté des tombeaux
Les yeux qu'on ferme voient encore.

                                            Sully Prudhomme

dimanche 3 novembre 2013

Attente







Attente…

Immensité, d'abord, désolation, impuissance...
Tous ces jours, ces heures, ces nuits, à tuer, à meubler, un vide désespérant, parcimonieusement rempli, laborieusement occupé et, comme par hasard, soudain vidé jusqu’à la désespérance.
Attente…
Que faire de cette longue plage stérile qui gît devant soi ?
Que faire de ces heures creuses comme des coquillages abandonnés qui résonnent lamentablement des échos des heures pleines ?
Attente…
Que faire de ce soleil soudain trop dur, trop chaud, trop vivant ? Que faire de cette nature qui est comme une insulte ? Que faire de ce temps à passer sinon penser au temps passé ?
Alors voilà que l’attente se meuble, vit, existe. Les souvenirs affluent, les bons, les riches, les vivants, les mauvais, pauvres, stériles, corrosifs. Et l’on s’aperçoit que le vide de l’attente devient un trop plein qui suinte, qui coule, qui déborde.
C’est l’heure des bilans, des douleurs. On refait le chemin à l’envers. On remodèle son passé, en attendant.
Et l’attente se nourrit d’avant l’attente. Comme une plaie qui se débride, on laisse vivre le passé. On le passe à la loupe, on le dissèque, on l’examine ; il se déforme comme devant une vitre à la planéité fluctuante.
L’attente devient le temps des doutes, des regrets, des passions et des rancoeurs.
Les doutes…les rancoeurs…Fidèles compagnons de l’attente.
Douloureux travelling arrière.
Dangereux travelling avant.
Et si demain ne m’apportait plus ce que j’attends ?
Alors l’attente perd de sa superbe, de son arrogance, de sa hâte. On essaie de retenir le temps afin qu’au bout de l’attente ne fût pas une image qui ne répondit pas à ce qu’on attendait d’elle.
Attendre devient un piège, une absurdité, un danger.
On se défend d’attendre mais on attend quand même.
On finit quand même par se tourner vers ce demain.
On le crée, on le remodèle, à l’infini, pour se protéger. On élabore ses stratégies, ses défenses, ses autodéfenses. 
On attend de pied ferme le bout de l’attente.

Mais le pire est de n’avoir rien à attendre….

Jour de pluie
Bages d' Aude (11)











J'ai écrit ce texte il y a très longtemps, un jour de surveillance de brevet des collèges ( en 1994?) sur le papier brouillon de ladite épreuve.
Je l'ai exhumé d'une armoire il y peu de temps et j'ai retrouvé en le lisant cette atmosphère de fin d'année au collège, ce ciel bleu, cette chaleur qui invite à aller s'asseoir sous l'ombrage des platanes de la cour, le silence exceptionnel des salles de classe, le grattement des stylos sur le papier, des soupirs d'adolescents angoissés, le tic tac des montres et cette attente de fin d'épreuve qui m'a inspiré d'un seul jet ce texte.