samedi 26 décembre 2020

Couvre feu et eau du ciel à Fuilla - 66

 

En ce soir du 19 décembre c’est le plaisir de retrouver la route, la conduite de nuit, les sensations de grande liberté quelle génère et enfin la Liberté retrouvée, on est déconfinés après 46 jours (qui s’ajoutent aux 54 du printemps, que de temps perdu !).

Alors je roule le cœur léger, j’avale la nuit avant qu’elle ne m’avale dans le couvre- feu. Oui la Liberté a ses limites, on ne peut tout nous offrir, cela nous rendrait gourmands et indisciplinés, peut-être…

Le temps est maussade, brumeux mais ma tête est au grand soleil.

Fuilla, est un village discret, étalé dans la vallée de la Rotja élargie au débouché de son parcours de rivière de montagne ; alors Fuilla a pris ses aises. Son voisin Sahorre, au débouché des gorges de la Rotja n’a pas osé s’étaler, mais Fuilla, profitant de l’espace, s’est scindé en trois, Fuilla d’en bas, d’en haut et du milieu, quoi de plus logique ?

Je me pose sur le petit parking de Fuilla del Mitg, au pied du clocher qui chante sa joie en son, celui de ses cloches qui rythment le temps toutes les 15 mn, un peu éraillées et en lumière : c’est Noël !


Réalité et reflets sur mon camion
Bientôt le couvre feu va arriver : à 20 h. Alors je sors de mon studio surchauffé pour affronter la nuit. Un calme que troue le chant de la Rotja, tout au bout du village, un silence qui semble ne jamais devoir cesser. Il n’y a que l’eau qui court le long des rues en chantonnant et moi qui marche en silence ; un personnage silencieux appuyé au mur d’une maison me regarde furtivement et poursuit sa virtuelle chevauchée fantastique .



 20 heures sonnent au clocher, le couvre feu est là, qui ne change rien, une seule ombre sombre et furtive se hâte lentement de rentrer chez soi, moi. 

Un flot de voitures passe soudain en klaxonnant dans la rue principale, route de la Haute Vallée, comme un pied de nez au couvre feu, ou un appel à se cacher. Je regagne mes pénates près du clocher qui fait bon ménage avec l’école, normal, le bougre semble être laïque, aucune église ne le prolonge.

Bon ménage : tout un art

J’ai retrouvé avec plaisir ma vie nomade, sa légèreté et sa fine ivresse…

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Un matin plus loin…Le silence sépulcral de la nuit s’est rompu avec l’averse, 2 h du matin…Insomnie, je lis, c’est la rançon des confinements…laissons glisser le temps au clocher muet…



Un matin plus loin, il pleut toujours. Adieu projets, rando,
  Ravin dels Horts mais bonjour la liberté. Me voici, presque au saut du lit, sans masque, sans contrainte, en train d’arpenter les Trois Fuilla. Je commence par le mien, celui du Milieu ; l’eau court toujours dans les rues, saute et tressaute en musique, le ruisseau lui rend l’écho avant que tout le monde ne file rejoindre la Reine Mère Rotja.






Comme l'eau vive d'un ruisseau

Vers la rivière




















Arrosage omniprésent


Captage au ruisseau affluent de la Rotja

L'art des anciens


La Rotja




 Moi, je longe des murs anciens, véritables chefs d’œuvre, des lacis de ruisseaux, des collections de vannes, déversoirs, prises d’eau, c’est le Fuilla d’autrefois qui me raconte sa vie pendant que des vaches regardent d’un œil morne passer l’humain. Et que les fontaines à l’eau  « non surveillée » (ce sont bien les seules en ce bas monde) coulent allègrement.




Fuilla n'est pas que le pays de l'eau, il est celui de la pomme : avec son voisin Sahorre, ils se partagent la fête de la pomme, dernier dimanche d'octobre. Hélas, 2020 fut bredouille; au virus humain s'ajouta la maladie de la pomme..


Vers Fuilla d'en Haut


Entre Art et Artisanat


Je pousse jusqu’à Fuilla du Haut qui m’expédie avec ma curiosité sur le chemin de la rivière enclose (que ce nom me plait !) où je ne trouverai que …des canaux, vannes etc..mais un monument historique rescapé des siècles passés, rendu à l’état de caillou sur muret !


Pour l'heure seul le chemin est enclos...

De l'eau en tous sens

Distribution d'aujourd'hui

Et du temps passé


Fuilla du Bas ? Soyons fous, on n’en est plus à quelques gouttes de pluie. Un chien me chasse bruyamment alors que je ne sais qui est le plus Monument Historique, du vieux tracteur décrépit ou de l’église Ste Eulalie rénovée. Datée l'an 906, elle fut remaniée plus tard et classée Monument Historique en 1965.



Restaurations

Vestiges du passé : église Ste Eulalie




Allez il est temps de rejoindre le Milieu et de filer vers d’autres horizons, mes jambes piaffent, ce n’est pas la fine pluie qui les arrêtera…Voyez donc ! Elles m’ont menée sur le Canal Py Sahorre Thorrent sous un torrent de charme !


Centrale électrique entre Py et Sahorre
Tout en haut de la conduite forcée passe un canal
que je vais visiter 

Les balades de Lison : le canal (clic)



vendredi 4 décembre 2020

Le vieux camion.

 Avertissement: toute ressemblance avec personne ou situation existante ou ayant existé est pure coïncidence.. Ce texte est issu de l'imaginaire et revisité par un complément d'imaginaire...hum...



Sur une image d'archives familiales, années 50,
 la camionnette de mon père en fond.
Quant à moi, on me reconnait!

Sur des images bien réelles glanées au cours de mes pérégrinations, une manière de rendre hommage à si belle relique...

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C’est l’histoire d’un vieux camion jailli des usines voilà quelques décennies. Flambant neuf, il avait la vie devant lui, mais la vie d’un camion est comme celle des humains, pleine d’aléas, d’embûches et pouvant s’arrêter du jour au lendemain.




Sa carrosserie sombre et lustrée, ses roues minces, son grand plateau de bois brut surmonté de ridelles de bois blond et verni lui conféraient belle allure. 
Deux gros yeux ronds et curieux, un peu myopes, lui donnaient une vue à court terme, mais qu’importe, les routes n’étaient pas encombrées et la vitesse lente.


Dans la cabine, un siège de moleskine noire, un peu dur aux entournures ne permettait pas un doux engourdissement au volant, d’autant que le volant, énorme et mince, assisté uniquement pas les gros bras du chauffeur était à lui seul un banc de musculation.



Le levier de vitesse, monté du sol comme un fluet champignon, surmonté d’une boule de noire bakélite, demandait adresse et dextérité pour passer les vitesses qui, par chance, n’étaient pas nombreuses. Ma description s’arrêtera là, rien n’était  assisté sur ce véhicule hormis par les muscles et les sens en éveil du chauffeur.

Voilà qu’un jour, bien des décennies après, ce gentil et serviable camion qui profitait d’un repos bien mérité, reprit du service et quel service ! Plus il vieillit et plus il prend du service et plus on exige de lui ! ça alors…mais c’est un bon camion qui a si souvent courbé l’échine qu’il fait son chemin sans rechigner…ou presque.


L'oeil du rétro

Sa carrosserie ternie, un peu boursouflée de vieilles cicatrices, dépolie par l’âge s’est vue embellir d’une grande bannière : «  Multiservices. Service rapide et en tout genre ». On n’a pas ajouté encore « de jour comme de nuit » mais cela peut venir.

Et le voilà parcourant les routes, en faction devant un supermarché, une pharmacie, une boulangerie ou autre banque, un magasin de mots fléchés croisés ou emmêlés, une herboristerie, bref tout ce qui est indispensable au quotidien du destinataire.

Le chauffeur court, vole et virevolte, un peu bancal aussi, il est aussi vieux que le camion.

Le chauffeur n’a qu’une consigne, mener à bon port et dans de brefs délais les articles demandés. Pas plus que son camion il ne doit souffrir la moindre défaillance : pas de dos rompu, de tendinite, de céphalée, de gingivite, d’otite ou de cheville vacillante, de muscles endoloris et j’en passe. Le camion lui, se doit malgré son grand âge, d’avoir ses rouages bien huilés. Toute crevaison, panne, incident ou accident est écarté d’un geste péremptoire et rageur. Même pas envisageable, je vous prie ! Quant à se permettre une balade pour le loisir ce n’est pas davantage envisageable : pensez donc ! Une avarie au chauffeur…ou au camion…ou aux deux à la fois….Seule la mort de l’un ou des deux éviterait la fusillade furieuse à l’arrivée.. Alors le camion, en cachette, s’offre de belles balades et comme ce n’est pas un camion salarié, il peut tricher ! Et puis il reprend du service comme si de rien n’était…

Alors le chauffeur se démène, pour trouver l’article commandé, et le livrer à bon port.

Avec un peu de chance, le bon port se trouve en altitude, non pas en montagne, mais au terme d’un de ces escaliers des maisons d’autrefois qui vous met le 1er étage directement au niveau du 3 eme d’aujourd’hui. Au terme d’un escalier qui nous rend chanceux s’il n’est pas en colimaçon…Les vieilles pattes du livreur vont et viennent comme des ailes d’abeille besogneuse, dans un silence sépulcral ou presque puisque le destinataire exècre la parole.

Et lorsqu’enfin le chauffeur retrouve son vieux camion, il apprécie la détente, le repos du volant pour gros bras, le levier de vitesse aussi délicat qu’une porcelaine de Sèvres, le siège au moelleux de « Poltrone e Sofa », le doux ronron aux déciblels de Metal , il s’en va ranger son véhicule avec une caresse sur la carrosserie et soupire « Mission Accomplie » !

 

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Quelques uns (unes) se reconnaitront peut être dans ce vieux camion et ce chauffeur indissociables. C’est peut être vous, c’est peut être moi, au service d’une personne (très) âgée, ou pourquoi pas ? d’adolescents exigeants. Mais au fond ces générations des extrêmes ne se ressemblent elles pas ?


mercredi 7 octobre 2020

Le chapeau perdu

C'était un petit chapeau de toile brune, sans valeur, presque sans couleur, oublié ou perdu, que je ramassai un jour de juillet sur un passage à gué. J'ai toujours aimé les chapeaux...


A 29 ans déjà...


41 ans plus tard
Arête du Pic Pedrós, 22 Août 2020

Ce jour là il faisait si chaud....Je cherchais une rivière fraîche où tremper ma peau et je l'allai chercher fort loin, dans le département voisin.  Parce que je la savais discrète, effacée, presque oubliée, et en tout cas, sauvage. Alors cela m'allait....

Le Torgan


Y accéder ne fut pas chose aisée mais je découvris un chemin encombré de roseaux et un passage à gué désaffecté. Au dessous coulait une rivière limpide, claire, bruissante, colorée de reflets dorés, sur lesquels se penchaient des branchages étoilés de libellules. C'était beau, paisible, boudé des humains.

 












Et sur le passage à gué trônait un chapeau de toile, oublié sans doute par un pêcheur.

Je n'ai pas pour habitude de ramasser les vêtements oubliés.

Mais lorsque je quittai les lieux, le petit chapeau de toile me supplia : "Ne me laisse pas"...J'entendis son cri silencieux et la peur de sa mort certaine, noyé quand le torrent deviendrait furieux.

Alors j'embarquai le petit chapeau qui fut d'entrée maltraité dans un lave linge. Comme il se devait...


Depuis, le petit chapeau, toujours un peu vieillot et effrangé ne quitte pas mon sac à dos.

Direction les cimes, abîmes, sommets et arêtes.


Ce jour là je trouvai une plume
J'aurais pu orner le chapeau !


Pour un changement de vie, cela en est un ! Et le petit chapeau ne se plaint pas. Il semble même se plaire sur ma tête, le sympathique couvre chef!. Il a avantageusement remplacé l'écharpe turban, envahisseuse dans mon sac. Lui, discret, facile d'accès, il me protège du soleil ardent, il se cache lorsqu'il fait du vent qui le conduirait dans les abîmes, je sais sa peur de l'abandon..


L'écharpe turban, pratique aussi pour se protéger du vent
Le petit chapeau s'envole au gré du vent

Ainsi, tout l'été, le petit chapeau rescapé du passage à gué navigua sur les sommets, et son paysage s'élargit, ses souvenirs aussi.  Désormais, il est l'éternel voyageur sur mon dos ou sur ma tête, se grise au soleil des hauteurs et est fier de sa nouvelle vie, je le sais dans son silence impérieux. 

De retour du 3009 m, petit chapeau aux grands sommets

Si un jour vous croisez son ancien propriétaire, un Audois, je pense, pêcheur de son état, ne lui dites surtout pas que son chapeau s'est exilé dans le département voisin et grimpe désormais sur des sommets et des crêtes effrangées, se grise de vertige et de vide, bien campé sur une tête de femme intrépide et  qui compte bien repiquer l'été prochain.

Ne lui dites pas que fier d'avoir franchi la barre des 3000, il n'entend plus aller taquiner le poisson, fut ce sur les eaux claires du Torgan. Ne lui dites pas....ou alors dites simplement que son vieux chapeau est aimé et heureux....

J'ai toujours aimé les chapeaux, disais-je...



A 29 ans..





dimanche 30 août 2020

Nuit d'Angoisse

Préambule
Voici une crise d'angoisse écrite sur le vif avant de "faire" un sommet prévu dans les heures suivantes, un sommet difficile, Le Bésiberri Nord, 3009 m et attendu pendant des années.
Et pour mieux garder le souvenir de cette ascension, cette angoisse qui la précéda a sa juste valeur.
Jeudi 25 août 2020, j'ai roulé 402 km pour arriver là, sur ce parking de Conangles , au débouché du long tunnel de Vielha, val d'Aran.
Demain c'est le sommet de ma vie, enfin le rêve d'un sommet.. 3009 m mais pas le plus facile.
Demain à 4 h du matin j'ai rendez vous avec Didier

Sur des photos du Val d'Aran et Haute Garonne
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Minuit 08 : je me réveille, j'ai dormi près de 3 h et je me réveille sans fatigue parce que l'adrénaline commence à monter. J'ai le temps, le réveil ne sonnera qu'à 3 h.
Je me rendors bercée par le chant de l'eau.
Parking de Conangles

 1 h 30 : second réveil, cette fois pas moyen de me rendormir.
L'angoisse commence à sourdre, à monter, elle fait une drôle de cacophonie dans la nuit, en disharmonie totale avec la chanson paisible de la rivière qui continue sa course comme le sablier du temps, avec sa chanson berceuse. L'angoisse fait bourdonner mes tempes et cogner mon coeur. J'essaie de la calmer, de la raisonner mais elle monte, elle monte...J'écoute l'eau, je regarde le ciel immensément étoilé dans le morceau que la montagne veut bien lui octroyer au dessus de mon lit. Rien à faire...j'écoute, je respire...

La Garonne . A Vielha
Fin de journée






















Les questions se bousculent, les réponses fusent.
- Et si je n'y arrive pas ?
- Eh bien je redescendrai !
- Et si j'ai peur ?
- Il n'y a aucun challenge, aucune obligation de résultat
- Et si.., Et si ?...
Chaque réponse amène une question, chaque question a sa réponse.
Je tourne et retourne dans mon lit, bois une infusion sucrée..Rien!


La nuit : infusion de thym
Le jour...pause détente à Vielha
Les étoiles scintillent, accrochées aux branches des sapins, comme des guirlandes de Noël, cela me ravit d'habitude...Rien !
L'une d'entre elles, la plus grosse essaie de se frayer un passage tout là haut.
J'essaie de lutter contre l'angoisse. Tous les sujets que j'évoque m'y renvoient.
D'autres questions  se posent : Est ce cela la montagne ? La peur qui fait reculer l'envie, l'angoisse qui écrase le plaisir?
Est ce cela que je suis venue chercher à 400 km de chez moi, à 70 ans, ce que j'attends depuis 2014? Depuis 6 années ? 7 étés ?

1 des 400 km : Haute Garonne

Est ce pour cela que depuis 2014 je m'offre des challenges, des couloirs, des arêtes, que j'ai fait trois séances d'escalade , que je m'adonne à la varappe, à la descente en corde ?
Est ce pour arriver si près du but et sombrer dans une crise d'angoisse ?
Il faut que je bouge ! Mais où bouger à 2 h du matin ? J'ai presque envie d'avancer le chemin !!

Une des cascades du Besiberri 


2 h 41...j'ai bougé...me suis assise sur mon lit et calmement, méthodiquement, me suis préparée. Toilette, café, protection de la peau, maquillage minutieux, comme si j'allais en soirée ou au bal. Le bal, il va être là haut  sur les murailles. La soirée j'y suis, la fête sera bientôt.
J'ai rendez vous avec le Bésiberri !!
Je suis fin prête, mon lit au carré, je tamise la lumière et écris. Il y a du temps devant moi. Didier arrivera à 3 h 47, il me l'a dit ...et pas en train...c'est son défi à lui ! Un horaire digne de la SNCF

2 h 59 :le réveil n'aurait pas encore sonné, je devrais dormir à poings fermés, ou bien, mue par un 6 eme sens bondir comme un ressort avant qu'il ne sonne.  Comme si le corps refusait cette agression de la sonnerie.
Et je devrais entamer tout ce que je viens de narrer. L'angoisse aurait le temps d'arriver...ou pas!
J'éteins le réveil, je quitte l'écriture et vais m'adonner à la lecture : écrire sur l'angoisse est encore la cultiver...
                                                                                                      Parking de Conangles,                                                                                                                              mercredi 26 août, 
                                                                                                       3 h 00 du matin

3 h 50, Didier arrive, en retard de trois minutes sur son horaire SNCF  mais il a fait de si belles rencontres sur sa route de nuit : des cerfs énormes avec des bois "comme ça !!" et des biches avec leurs bébés, et même l'autoroute déserte ne leur fait pas peur.

Tunnel de Vielha, Val D'aran 5320 m
Le parking est juste à côté
Ph prise au départ

4 h 10 : on démarre à la frontale pour le Bésibrri Nord (récit ici en un clic)

Au sommet 3009 m


Epilogue : pas une fois je n'aurai ressenti l'angoisse, ni même la peur...Ah cela en valait bien la peine...mais cela fait partie du charme de la montagne !