lundi 18 mars 2019

Balade nocturne à Jujols

Me revoilà sur mon perchoir, exactement à la même place (normal, j'avais réservé :-)) à l'heure où le soleil dore juste les sommets et où la lune, curieuse et à moitié pleine (ou vide, c'est selon..) attend de pouvoir le remplacer. Nina est du voyage pour son grand bonheur !


Mon décor

A l'heure du dernier rayon



Nina irait-elle hululer à la lune ?
 J'ai lu, bien au chaud dans mon camion, en compagnie de Nina, il fait un peu frais ce samedi. Je regarde tomber le soir dans un délice de teintes bleutées et orangées, les oiseaux sont moins enchantés que samedi dernier, le temps est changé. Deux moineaux viennent narguer Nina aux portes du camion, c'est de très mauvais aloi ! D'autant que je tiens la laisse fermement.





Puis la nuit s'installe, les lumières de villages clignotent tout en bas, c'est l'heure de Jujols by night.



Je ne peux dire qu'il n'y a pas un chat : un gros matou noir et blanc vient ronronner dans mes jambes, mais une "écaille de tortue", sur un muret, s'enfuit, le Diable aux trousses.
Un normand regagne son gîte, il est venu faire son trou ici pendant une semaine.
Quant à l'Homme de Fer, gentiment assis, il va passer la nuit ici.

Ensuite c'est le silence qui s'installe, il y a juste mes pas sur les lauzes de schiste et le chant de l'eau dans les ruisseaux.

























Quelques fenêtres éclairées dévoilent un peu d'intimité : une atmosphère , un dîner, de la déco ou une soirée télé, jambes couvertes par un plaid. Je reste discrète .


C'est fou ce qu'on voit de choses, la nuit, à la lumière chiche de gros réverbères.
Un ruisseau qui brille, des fours à pain qui modèlent leur silhouette ventrue d'ombre et de lumière, l'inégalité des pavés, un toit sur lequel je pose ma main en guise de rampe. Des zones sombres et d'autres luisantes de lumière. dans un silence parfait. Il n'y a même pas le parfum d'un feu de bois...








Des fours à pain ventrus



Des toits à portée de main

La lune blafarde par dessus les toits

Je m'attarde, mais Jujols est si petit....



Un oiseau de nuit hulule, Nina écoute, ouvre grands yeux et oreilles sur ce qu'elle ne voit ni entend, en bas, là bas, chez nous.

Alors je laisse se refermer les portes de la nuit sur Jujols endormi, les lumières bientôt s'éteindront, la cloche se taira, demain sera un autre jour. Demain ma rando commencera ici, aux portes de la vie.


Une des portes de Jujols, aux confins du village

Détails

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jeudi 14 mars 2019

Une nuit à Jujols

Jujols est un tout petit village perché, à 950 m d'altitude, rive gauche de la Têt, dans la soulane du Conflent, au même titre que Llar, Canaveilles et, plus loin, Sauto. Près d' Olette d'où partent les 5 km qui y conduisent. Une très grande commune de 1100 hectares, quasi toutes en terrains boisés et accidentés, allant de la Têt (570 m alt)  au Mont Coronat, (2163 m alt),  mais très peu peuplée, 4.5 habitants / km2; le village compte 45 habitants.


Vue depuis 1200 m, le paysage environnant et Jujols, milieu tout à gauche
Et lui, face au village



On ne passe pas à Jujols, on y va sinon rien, car le village est en bout de 5 km de route étroite et sinueuse, bordée de schistes noirs, comme fumés la veille !


D'en bas on ne voit pas Jujols, ni même pendant la montée, on voit Jujols quand on y a "le nez dessus". A l'inverse de Sauto, Canaveilles ou Llar, situés de la même manière;  Jujols vit caché.



Par contre l'église est curieuse et pointe depuis plus de 10 siècles son nez sur le vide vertigineux au fond duquel coule la Têt.

Haut perchée, l'église


Coup de zoom

 Elle écoute la Têt. Et aussi la 116 qu'elle a vu se construire, fin 19 eme siècle, et le petit Train Jaune, début 20 eme. Elle les a regardés, écoutés, surveillés, elle s'y est habituée.
Eglise Ste Baselisse (Baselice) et St Julien réunis.

Train jaune au fond de la vallée








Le Canigou et tous les sommets voisins jusqu'au Cambre d' Ase , elle les regarde: eux l'ont vue s'édifier.  Au delà elle ne voit plus rien.
Sur les pentes d'en face, de l'autre côté de la Têt, la vue est étendue : Escaro, Vernet les Bains, Souanyas, Marians et j'en passe....La nuit tous ces villages font un chapelet de lumières clignotantes. Jujols, plongé dans le noir,  en profite et j'en ai profité aussi car j'ai passé une nuit à Jujols.



 Les visiteurs découvrent en cette église un très bel édifice classé Monument Historique mais avec un peu de chance, ils y arriveront comme je le fis un lointain jour voilà 10 ans, en un après midi, le seul moment d'ouverture de la mairie. Et s'ils demandent la clef, ils auront la chance d'en voir l'intérieur, et le son et lumière, et la statuaire...oh je n'en dirai pas davantage...

Semi enterrée côté nord

L'église, face nord, est semi enterrée, face sud elle s'offre au soleil, flanquée de deux très vieux cyprès qui pleurent des larmes de sang.



Les larmes du cyprès
 Le petit cimetière attenant est plus qu'un lieu de repos, il y fait bon vivre! Quant à sa porte, ornée des typiques pentures catalanes, issues de cette extraction du fer dans le Conflent qui perdura pendant des siècles, si elle n'est pas la plus belle des portes, elle reste remarquable.

Repos






L'église a une cloche unique qui sonne pendant 12 heures, le reste du temps elle se tait. Comme la nuit s'éteignent les lumières du village, laissant place au ciel immense et à la silhouette sombre des montagnes. Quand on a la chance de dormir comme moi porte ouverte sur la nuit, face au Canigou...c'est le bonheur à l'état pur, c'est le bonheur pur et simple.


Le Canigou et Vernet dans la noire nuit
Partagé avec quelques habitants.
Car des habitants il y en a peu.
Le village est un peu à l'écart, déparé par aucun lotissement, déparé par aucun fil électrique .
Des ruelles étroites, pavées de schiste sombre, des ruelles escaliers, des ruisseaux bondissant le long des murs de schiste sombre, des cheminées imposantes, des gîtes qui sont l'essentiel du peuplement, aucun commerce, café ni restaurant, on n'entre pas en voiture dans le village, on le parcourt à pied, en le dégustant.




Fontaine de la Sainte Famille

 En cette saison, à la tombée du soleil, des bourdons velus s'affairent entre les pierres, par dizaines, afin de construire des nids rouges et operculés: j'ai le privilège de les approcher sans  être ni piquée ni mordue : rare instant !




De la vallée que je contemple, tout en dessinant les montagnes, monte la rumeur des voitures de retour des stations de ski et le roulement du petit train jaune, celui qui monte puis celui qui descend, ils se sont obligatoirement croisés à Olette, .
La vallée vers l'amont: la Têt, la route, la voie du train jaune, paysage du Conflent
Le village est silencieux mais ce soir où j'y réside, il bruisse de catalans expansifs qui, comme les bourdons, éteindront le son à l'heure du tardif repas; de toute façon je dors depuis longtemps, je me suis endormie avec la cloche, porte ouverte sur la nuit noire de ce soir de mars, son silence immense et son ciel merveilleusement étoilé. Le charme de la vie nomade.
Lorsque je quitterai le village , au soleil juste levant, au matin, ce sera le même silence qui m'accompagnera.


Petit matin à Jujols

Matin à Jujols, lever de soleil
Je ne sais pas de quoi vit Jujols, hormis du tourisme; il reste quelques élevages je crois; loin du village.
Dans ma randonnée je découvrirai de quoi vivait Jujols, je frôlerai des pieds, du regard et des mains, les restes de son passé agricole et pastoral, je verrai ces parcelles ou feixes ensevelies sous la végétation, ces bassins d'arrosage comblés par le temps, ces ruisseaux où bondit encore de l'eau qui fut si précieuse, devenue inutile, rendue aux rivières presque à sec. Je verrai ce que seuls (ou presque), les paysans,dont je suis,  peuvent reconnaître les vestiges.


Altitude 1200 m Jujols se dévoile
 De Jujols je ne saurai pas grand chose, même les sources d' Internet demeurent muettes, comme s'il n'y avait rien à dire. Ou tout à cacher. J'apprends simplement que 2 maires se battirent pour l'eau, approvisionnement, captage et pour développer le pastoralisme ovin. Et que après 1979 fut créée la Reserve Naturelle. Loin dans le temps, Jujols est mentionné en 1189, plus tardif que son église. Et que le village fut fortifié.
Il me faudra attendre d'être bien haut, plus tard pour voir se chauffer les maisons noires au soleil chaud de ce jour de mars. Et luire les toits de lauzes qui rappellent que la région n'en est pas pauvre mais que le climat les justifiait bien : autrefois, du temps des hivers neigeux et glacés.
Des marbres griotte qui furent extraits bien haut dans les montagnes, il n'y a pas de témoignages dans le village : un évier de pierre plus pâle, une pierre de sang logée dans un mur devant l'église, peut être la plaque du Souvenir Français, je n'en suis pas sûre, comme si Jujols avait laissé à Serdinya ce qui appartenait à Serdinya : les marbres.

Murette attenante à l'église
Je quitterai Jujols un peu plus riche de quelque chose, un peu frustrée de n'y point rester, mais dans l'attente d'un prochain retour. Très bientôt, pour "une autre nuit à Jujols".


Nuit à Jujols

Sur mon autre blog, les balades de Lison, le marbre griotte du Coronat (clic)