mercredi 22 novembre 2017

Fabert, un parfum d'enfance retrouvée

On ne passe pas à Fabert, personne n'y passe, jamais. On y va si seulement on fait attention à ce petit embranchement discret, en plein virage, si exigu qu'il faut faire une manoeuvre pour s'y engager. Alors on se retrouve sur une étroite piste cimentée de 2 km où le demi tour est impossible. A cette condition là on est obligés d'arriver à Fabert.

Fabert c'est un "veinat", un hameau, le premier lieu habité à 6 km de la frontière, en descendant du Col d' Ares. Le premier lieu habité d'Espagne, plus précisément de Catalogne.



Habité c'est beaucoup dire : 2 habitants! Les mêmes sans doute qu'en 2013 lorsque j'avais découvert ce hameau perché à 1385 m d'altitude mais bien abrité des vents glacés du nord qui, une fois passée la frontière, se ruent sur un plateau où nul arbre ne les arrête. Un plateau à 1500 m dont la chute brutale protège le village de leur souffle puissant et corrosif.



Bien abrités 

Fabert et ses maisons de schiste regarde résolument le sud. Et se chauffe au soleil.

Des fleurs s'attardent encore c'est bien abrité, pourtant une poussière de neige est tombée voilà quelques jours.






















Une petite place en pente accueille seulement 3 véhicules. Une fontaine munie d'un robinet de cuivre y distribue une eau fraîche et sur les pierres de schiste sont écrits les noms du village, de la place  et de ses maisons : un original carnet d'adresses !




Carnet d'adresses



















Je loge mon camion en pente, je cale une roue avec un roc: mon hôtel restaurant est prêt.
Il y a du monde au village : les habitants ont doublé ou triplé, c'est dimanche.
Je vais me présenter : un intrus qui envahit les lieux, ça se remarque ! L'accueil est chaleureux, l'hospitalité n'est pas de façade. C'est l'hospitalité Catalane. Je me verrais bien passer Noël ici...
Je fais un petit tour dans le hameau ce qui est vite fait : la rue principale est interdite et si d'aventure, comme moi, on tente la chose, on bat vite en retraite: des molosses jaillis d'une cour sautent le mur et foncent droit devant. J'essaie de faire bonne figure mais on en reste là...

Chemin privé
Chiens dangereux

La rue interdite

Je préfère de loin la basse cour qui investit la rue: plumes colorées et brillantes de bonne santé, verbiage et caquetage empressé, ces dames donnent du bec sur tout ce qui traîne. Maître coq se partage entre nourriture, cocoricos puissants et croupion de ces dames, lesquelles n'affichent pas le parfait accord. Nina ouvre des yeux effarés et terrifiés devant ces monstres inconnus : où l'ai je emmenée? Son calvaire va t'il commencer ?







Elle finira par s'habituer mais au moins n'aura aucune velléité d'escapade. A propos d' escapade, c'est l'heure de l'apéritif, le soit tombe et la température aussi. Frédérique m'a offert une bouteille d' Escapade, sa nouvelle cuvée de muscat sec, millésime 2017.

La bouteille , son millésime et
le mimétisme du paysage le lendemain


Nina et les volatiles sont aussi à l'heure de l'apéro, solide celui ci.








 Il fait 5° il faut se réchauffer.
Tout là haut les vaches sont encore aux estives, le temps est assez chaud pour cela. Seuls les veaux sont au hameau: entre chats, chiens et autres, le hameau est fort peuplé ce soir.



Les poules rentrent au bercail, encouragées par les cris de la fermière mais un petit groupe indocile a pris le large : sur ma délation, la fermière va les chercher, elles filent doux.



Tout le monde s'active: on soigne les veaux dans le pré en plein hameau, il y a un parfum de montagne et de vie animale. Un parfum d'enfance soudain retrouvée.
Il n'est que 17 h 15 mais le soleil a passé dans un poudroiement d'or qui virera plus tard au rouge.






 Les 5 ° ambiants se ressentent avec une soudaine acuité. Les sonnailles des lointaines vaches vibrent dans l'air froid, tandis que le silence s'installe.


Chacun regagne son intérieur, j'en fais autant. Les chiens commencent leur veille, on ne les entendra plus.


Confort douillet, chauffage, la soirée d'automne en montagne a une atmosphère qui fait frissonner quand j'y pense à la maison, mais qui me plait tant quand je la vis. Vue de loin, c'est triste et angoissant. Vécu de l'intérieur c'est fort plaisant.

Un peu plus tard, le village se vide : tous les habitants sauf un s'en vont à la fête du village voisin, Mollo. C'est la Ste Cécile. Ils viennent me prévenir et m'assurer (ou me rassurer ? ) : "On ne rentrera pas tard" , comme si j'étais un membre de la famille; je trouve cela touchant et amusant. "Je vous garderai le village" je leur réponds en riant. En fait nous serons deux, qui ne nous rencontrerons pas. Quand les habitants reviendront, "pas tard" effectivement, Nina et moi nous sommes déjà sous la couette, dans la chaleur du chauffage qui ronronne.
Puis la nuit s'étendra sur le hameau : le bruit immobile du silence, ce bourdonnement des oreilles que nul autre bruit ne vient troubler. Le silence immense et un ciel d'encre éclaboussé d'étoiles.
Au matin, je me lève sans bruit, le hameau se réveille doucement, Josep vient me saluer, il part travailler de l'autre côté de la frontière, je ne le reverrai pas. Lorsque je m'élance sur le chemin, la basse cour dort encore. Je n'entendrai pas le chant matinal du coq, celui qui signait mon enfance retrouvée.




Sur mon blog "Les balades de Lison", la randonnée est contée,(clic) le long de la frontière