mardi 26 août 2014

Peranera, un village hors du temps...

Peranera est un village au bout du monde. Au bout d'une route qui n'existe que depuis 15 ans, ce qui explique la mort du village.


J'arrive en ce terminus logé dans des montagnes nues, comme un décor d' Atlas nord africain.
Quelques manoeuvres serrées pour tourner mon camion et je rejoins Maria qui étend son linge, à l'ancienne, sur un muret de cailloux.

Elle me parle de Peranera, d'où ils sont tous partis, au fil des ans.
Vers en bas ou vers ailleurs. Ils ne vivaient pas, ils survivaient.
Pas de route, pas de moyens pour amener les matériaux pour rénover et sauver les maisons.
Ils sont partis, les maisons se sont écroulées. Une d'entre elles tient debout, c'est celle du neveu de Maria; c'est le foyer pour l'été seulement. Une autre est en rénovation.
L'église ? ce sont les habitants qui l'ont sauvée, avec son clocher tout de guingois.
Le cimetière est envahi de fleurs sauvages, d'herbes et d'orties : il ne servira plus, alors.. Sa dizaine de croix est penchée en tous sens, comme au vent mauvais

Par le carreau cassé...
Petit cimetière, un mort parmi les morts


La mine aussi est morte : Peranera, la pierre noire...dans ce décor de roches rouges, la pierre noire fait des filons et luit férocement ; c'est le charbon.



Il a été longtemps exploité ici, depuis la nuit des temps, il filait en bas dans la vallée où j'ai vu d'incongrus terrils noirs dans un paysage incarnat.




La mine aussi est morte, pas rentable. Ainsi va la vie.

Je parcours ce qu'il reste du village ; des murs, des planches, des poutres et des tas de pierres, envahis d'herbes folles et agressives: on doit laisser en paix les défunts me disent elles.
Au tout sommet du village, une vieille maison, immense, pas un château, non, juste une demeure, dresse des murs et des poutres comme des mains qui agripperaient le ciel.












De pathétiques griffes qui retiennent l'air, le soleil, le vent, comme une Mater Dolorosa.


Au sol, des tuiles, gravats, pierres et poutres me parlent, chacune son refrain sur l'âme d'ici.
Je me penche, je les touche, je les effleure, je les écoute.
Insolent de verdure, un pied de persil s'invite à mon prochain repas de girolles; je le récolte, plus précieux que je n'en ai jamais rencontré. J'enfouis dans ma poche ses tiges foncées, laissant les jeunes pousses vivre une vie sur laquelle, j'en suis sûre, personne ne se penchera  jamais.
Il n'y a rien d'autre, ici, à Peranera, qu'une âme qui habille les ruines; non pas d'un linceul mais d'une extraordinaire vie.

Qui rôde, seulement audible pour ceux qui peuvent l'entendre.



Plus loin, perché comme un nid d'aigle, inaccessible au bout d'une interminable piste de terre, fier comme une kasbah marocaine, se dresse Erill, l'autre Erill, celui des cimes, berceau des Seigneurs qui enjolivèrent leur vallée (La Vall de Boi) -clic- de somptueuses églises.


Erill dans son décor sauvage
Erill, un nid d'aigle


La montagne d'ici est rouge, s'y accrochent des chênes. Quelques prairies d'altitude font de vertes terrasses où il semble devoir faire bon passer l'été. Il semble, seulement, ne nous trompons pas.
Une rivière serpente au fond de la vallée étroite , invisible et enfouie. Au gré du vent, son murmure s'élève jusqu'à moi.



Oui, un village hors du temps...Assurément.


vendredi 8 août 2014

Madame au téléphone

Ce n'est pas dans un souci d'équité, mais parce que cette histoire hallucinante me revient en mémoire.
Une scène dont je fus témoin (encore!) mais ce n'est pas difficile de nos jours, d'être témoin de ce genre de scène, un humain au téléphone.


Cela se passait l'été dernier au coin de ma rue. Pas besoin d'aller bien loin.
Juste au carrefour près de la haie que j'étais en train de soigner.



Deux motards de la police, écrasés de chaleur dans leur uniforme, faisaient les plantons à l'heure chaude où chacun se terre.

Soudain une bordée de sifflements sortit le quartier de sa léthargie.



Elle passa, superbe, dans sa voiture noire, le téléphone à l'oreille, une main sur le volant, insensible au bruit, à l'agitation des hommes en bleu, à celui qui se précipitait en courant, cramponné à son inutile outil.


Elle passa et je me précipitai pour lui éviter en plus du délit de téléphone et de celui de refus d'obtempérer, celui, irrévocable de délit de fuite.
Je me précipitai vers sa voiture et elle passa devant moi, superbe et insensible.
Aveugle, sourde mais pourtant pas muette.

Nous laissant abasourdis, l'homme en uniforme et moi.
Lui, dépité, sidéré,  moi, subjuguée, également sidérée.
 Je croyais qu'il allait sauter sur sa moto et courser la belle indifférente, mais, haussant les épaules, il retourna à son poste de guet en plein cagnard.

Je retournai à ma haie, avec une petite pointe d'amertume pour des PV du passé que je jugeai pour la seconde fois bien immérités !



mercredi 6 août 2014

Monsieur et le téléphone





C’était un jour de printemps, au bord d’un étang.



Le ciel était d’un bleu brillant, l’étang aussi, par mimétisme assurément.
Ce jour là, j’étais au restaurant.
La terrasse était déserte, pas encore de saison.




Par contre, sous la véranda, un peu de vie racontait que le printemps s'éveillait.

Derrière la baie vitrée, l’étang scintillait bleu vif, et le soleil s’amusait à s’y baigner.

Un couple avait pris place contre la baie vitrée, âgé, guindé, un peu emprunté.


Moi, seule, comme à l’ordinaire, j’avais tout loisir pour observer. Entendre, voire écouter.
Un couple, la soixantaine pétillante, entra, me salua et s’installa entre le couple guindé et moi.
Monsieur me sourit discrètement et me salua plus ostensiblement.
Rien que de très banal.

Un temps s’écoula, et on leur servit le premier plat.
A ce moment, le téléphone de Monsieur sonna.
Il répondit et s’éternisa.
Je suivais la conversation, non par intérêt mais par inévitabilité.
Une femme l’appelait et…la sienne s’impatientait.
Quelques longs instants plus tard, la communication fut coupée. Banal.
Mais l’interlocutrice ne lâcha pas prise et rappela.
Alors la scène s’anima.


Les convives du bord de la véranda, tout comme moi, ne pouvaient pas louper cela.





Ils interrompirent leur conversation mais  non leur repas.
Moi, je n’interrompis rien, forcément.
Mais Madame interrompit son repas.
Et commença à darder sur Monsieur des regards réprobateurs puis, vite, excédés.
Monsieur, aussi indifférent que s’il eut été au volant, discutait comme s’il eut été en son salon, en son jardin, oui, à son volant.
Enfin la conversation s’arrêta.
Madame avait mangé, Monsieur allait manger froid.
Froidement Madame explosa : «  Si tu recommences, je prends mon plat et m’en vais manger dehors ! ». puis se ravisant, peut être au souvenir de certaine publicité, elle asséna, implacable : «  Si tu recommences, je prends le téléphone, lui fais traverser la véranda et gicler directement dans l’étang ! ».


Il y avait tant de détermination et de froideur dans sa voix et dans son regard que Monsieur manipula son appareil, le neutralisant certainement, l’enfouit au fond de sa poche comme un wagonnet au fond de la mine, prit une mine penaude et cependant muette…Comme le devint miraculeusement son outil.
Le vieux couple guindé au bord de la véranda lança un regard effrayé : pensez donc ! Le téléphone eut traversé leur couple, leur table, leur repas, la vitre et une multitude d’éclats de verre eut étoilé leur déjeuner…
 
Lorsqu’ils se levèrent pour quitter la salle, à la fin de leur repas, je surpris le regard soulagé du vieux couple, en même temps que le regard de connivence de la vieille dame, étoffé d’un sourire…oh ! cette histoire somme toute banale, TRES banale, devait lui évoquer bien des souvenirs…






                                                          














samedi 2 août 2014

24 heures de la vie d'une femme

Au cinéma
StefanZweig



 Il s'agit d'un ouvrage de Stefan Zweig, publié voilà 100 ans, un récit de 127 pages dans l'édition Poche..

Le récit qu'une vieille dame de 67 ans (ainsi est elle définie) fait à un jeune homme d'un douloureux épisode de sa vie.
Ce récit à lui seul occupe 89 pages et se déroule le temps d'une nuit dans une chambre d'un petit hôtel de la Riviéra Italienne. En 1904.

Le début du récit ressemble à une pièce de théâtre. Les sept pensionnaires sont de société bourgeoise, danois, italiens, allemands, français et une vieille dame anglaise, Mrs C...Une bonne société de belle éducation au sein de laquelle tout semble tracé d'avance. Tout peut continuer ainsi malgré l'arrivée d'un nouveau personnage, un jeune français de non moins bonne éducation. sauf que par lui, arriva le scandale et une respectable  mère de famille s'enfuit avec cet illustre inconnu dès le lendemain....Emoi, effervescence, désapprobation, scandale, dans cette petite société bien pensante.
 Excepté pour le narrateur et la vieille dame anglaise.
Dans ce texte, le temps est minuté avec précision comme au théâtre et semble obéir à la loi classique des trois unités, aussi bien dans cette intrigue qui occupe le début de l'histoire comme dans le récit de la vieille dame auquel cette intrigue servira de prétexte.

Peut être à tort, ce récit m'a évoqué la règle des trois unités : unité de temps, de lieu et d'action dans le théâtre classique.
Ainsi définie par Boileau, en 1674 : "Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
                                                              Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli"

Mrs C...convie alors le jeune homme (le narrateur) dans sa chambre  et lui contera d'une seule traite son histoire, ces 24 heures qui bouleversèrent à jamais sa vie .

"Jusqu'à mes 42 ans il ne m'arriva rien que de tout à fait ordinaire (p32) " : ainsi commence son récit.
J'évoquerai simplement l'histoire: c'est celle d'une double passion destructrice. Aussi éloignées puissent elles être l'une de l'autre, la passion de cette femme de 42 ans et celle de ce tout jeune homme qui croise sa route
une nuit de pluie, prennent le même chemin, entrecroisent des vies qui jamais n'eussent du se rencontrer et happent dans leur sillage les deux protagonistes jusqu'à une forme de destruction. Deux destinées qui se mêlent pendant 24 heures et se brisent.
Le récit est brillant, brûlant. Un morceau d'anthologie, dans le texte comme dans la construction du récit.
13 pages sont consacrées à une époustouflante description des mains du jeune homme. Description reprise vers la fin du récit, 6 pages durant.
Quant à la description de la passion, replongée dans le contexte des années d'avant la première guerre mondiale, elle est magnifique.
Une oeuvre sobre, élégante, poignante, comme le sont les personnages.
Qui montre que sous la glace couve le feu. Et que devant la passion, tout bascule, irrémédiablement.


Qui est Stefan Zweig?



Ecriture en allemand de S Zweig
Né en Autriche, en 1881, dans un milieu juif autrichien bourgeois, il fait de brillantes études et à 23 ans est Docteur en Philosophie.




En 1900
 Il voyage beaucoup en Europe et surtout en France où il est séduit par la culture et par ses rencontres avec des intellectuels. La 1ere guerre mondiale le bouleverse et il fait une profonde dépression. Ses idées d'une Europe unie sont avant gardistes et il vit très mal dans ce monde. Il écrit et sera tour à tour poète, essayiste, romancier, dramaturge, biographe, autobiographe.






Son récit "24 heures de la vie d'une femme" publié en 1927 est une nouvelle inspirée du roman épistolaire de Constance de Theis, Princesse de Salm, intitulé "24 heures de la vie d'une femme sensible".
En 1927 il publia "Lettres d'une inconnue", "La confusion des sentiments", "La pitié dangereuse".
De nombreuses biographies sont à son actif et en 1943 parut de façon posthume "Le joueur d'échecs".
Dépressif et douloureusement marqué par la guerre d' Espagne puis par la seconde Guerre Mondiale, il quitta les Etats Unis où il ne trouvait pas le repos de l'âme pour le Brésil où il se donna la mort avec sa compagne le 22 février 1942.
Il laissa une lettre à sa première épouse. Et à de nombreux amis.






Une des lettres d'adieu



Stefan Zweig et Lotte