dimanche 15 avril 2018

La Vieille Dame et les tisanes


La vieille dame boit de la tisane. Tous les jours ; 365 jours par an et un jour de plus tous les quatre ans. Ceci plusieurs fois par jour , et la nuit aussi. Donc il en faut de la tisane !

Mais pas n’importe laquelle, la trilogie tisanière se nomme verveine, aubépine et tilleul, auxquels se joint la camomille, ce qui a son importance pour la suite de l’histoire.

Car la vieille dame n’a aucune fantaisie. 

Elle n’a jamais, dans sa vie de presque nonagénaire, mis la moindre fantaisie dans son quotidien,  ni dans la nourriture , ce qui va de soi, puisque la nourriture signifie aussi appétit de vie. Les  mêmes  gruyère, comté, boule de rouge sous plastique, les mêmes carrés de poisson panné, et j’en passe, jalonnent ses jours ; pas ses nuits pour ceux-ci.
Des décennies d’habitudes qui ne se rompent que lorsque le produit ou la marque quittent la vie. Il en fut ainsi de la boule de rouge sans saveur, sans odeur, juste avec couleur. Remplacée aussitôt  par autre chose d’un peu moins coloré et tout aussi insipide. 




Mais revenons à la tisane
 La trilogie végétale a une qualité, elle provient de la nature et non pas de sachets, hormis la camomille qui devient introuvable dans les rayons . A l’heure où les gens mélangent les saveurs et aiment les produits goûteux, la vieille dame sacrifie le goût des sachets – et leurs vertus- aux vraies saveurs  et bienfaits, ceux de la Nature. Ce qui est tout à son honneur!

Mais il faut récolter ces bienfaits : et à qui revient ce fastidieux travail ? A la dame un peu moins âgée.

Alors, lorsque commence la courte saison de l’aubépine, c’est à la dame moins âgée de courir la campagne armée d’un seau et sécateur à la rencontre de ce végétal qu’elle abhorre.  L’aubépine ne l’avais jamais dérangée tant qu’elle n’avait du y fourrer mains et doigts. Parce que l’aubépine ça pique ! Et très fort même. Alors cela devient du sport. Il faut trouver le bon arbrisseau, le bon rameau, les bons boutons. Car il ne faut pas de fleurs épanouies, il faut juste les bons boutons, point trop petits cependant. 



La dame vieillissante connait  tous les talus, tous les buissons, les précoces et les tardifs, ceux qu’il faut éviter, ceux qu’il faut surveiller. Avec aversion, elle promène ses seau, sécateur et doigts en colère pour récolter la floraison adéquate. Une course contre la montre s’engage. Tous les jours la petite quantité que la Vieille Dame pourra dépiauter de ses doigts crochus et douloureux. Car pour une année il en faut ! Un seau ne donne qu’un tout petit bol de bourgeons séchés.


Ajoutez à cela qu’il ne les faut point humides. Alors en ces jours de pluie sans discontinuer, l’aubépine fleurit, moisit, se fane et la Vieille Dame n’a pas ses rations. Et la dame vieillissante se demande vers quelle Haute Vallée du Département voisin ou vers quels Causses devra t’elle prendre la longue route pour pallier les carences de Dame Météo. Car la Vieille Dame ne renoncera pas à l’aubépine annuelle. Avec son défunt époux ils allaient la chercher très loin jadis…

Si l’aubépine était seule…mais non s’y ajoute la verveine !
image web

 La dame vieillissante avait pris ses précautions et trois pieds de verveine , dans de lointains jardins assuraient l’odorante production annuelle . Hélas, la sécheresse et le manque d’eau cette année mirent à mal la production. Un voisin bienveillant pallia cette carence mais la Vieille Dame a vu s’épuiser sa provision et assena à la dame vieillissante, seule en cause un « Tant pis, je bois de l’eau chaude ! », aussi irritant que pincé qui mit aussitôt en branle la quête en magasins pour trouver LA verveine défaillante.


Dans ce carré de fleurs se trouve la verveine


 Cependant le goût des autres a changé et les autres aiment bien les saveurs mélangées que ce fut tisane ou thé, des cocktails en somme. Alors c’est la course pour les sachets de verveine. Et la récolte est si loin encore. Car cette année la dame vieillissante en a planté un pied  en son jardin, un tout petit pied et la Vieille Dame est quasi nonagénaire, ne l’oublions pas ! Toutefois les pieds existants seront abreuvés au cours de l’été à coups de jerrycans…du travail en perspective !! Peu importe à la Vieille Dame. La dame vieillissante est là pour ça !

A gauche du laurier rose, la verveine (mon jardin)

S’il ne s’agissait que de verveine et d’aubépine mais la trilogie se termine avec le clou du spectacle : le tilleul 


Qui se doit lui aussi d'être récolté au bon moment, juste en boutons n'est ce pas, donc qu'il faut aller surveiller régulièrement, ce qui en soi est déjà une épreuve vu sa situation pour le moins rocambolesque, enfin difficile , en un de ces bout du monde dont nos anciens raffolaient!


En descendant à la rivière (tilleul en bas à droite)

La Vieille Dame possède un tilleul mais le bougre fut planté il y a fort longtemps  auprès d’une rivière, au pied de la montagne . On y accède au terme d’un sentier fort pentu , à pied évidemment, lourdement chargé d’une double échelle. 


La partie émergée de l'arbre; le reste
est en contrebas dans
la rivière

Photo 2013; depuis l'arbre a grandi
 et l'échelle aussi



Une fois sur place il faut déplier l’engin, assurer sa stabilité, grimper au plus haut, s’étirer de tous ses membres pour  réussir l’exploit de « faire venir » quelques branches qu’on ne peut que sectionner pour récolter. Et que l’obligatoire accompagnant assure en tenant fermement l’échelle. L’arbre est devenu un géant cherchant la lueur du ciel très haut comme dans la jungle.  Quand la récolte est au sol, on en fait un fagot qu’on remonte au long du sentier comme ces femmes  péruviennes, le dos ployé sous le faix enveloppant quoique léger.  L’accompagnant lui, remonte l’échelle devenue soudain lourde et encombrante dans la rude montée. Une seule cueillette doit assurer la récolte annuelle que les doigts crochus…n’est ce pas….


L’an passé la récolte fut impossible, les branches devenues inaccessibles. Qu’importe ! 
La Vieille Dame asséna à la dame vieillissante un superbe et sans appel; "A plus de 80 ans mon mari montait dans l'arbre! » qui avait valeur d’ordre. La dame vieillissante essaya cette voie d’escalade côtée "6 a" pour le moins, sans succès devant un tronc démesuré et lisse, malgré la corde d’escalade qu’elle avait emmenée. Au cas où elle eut réussi à escalader le tronc, il eut fallu ensuite, par une progression latérale gagner le bout des branches, essayer d’une main d’attirer les rameaux et de l’autre sectionner, sans assurage sinon la quasi assurance de la chute dans le vide sur les rochers d’en bas, à moins que baudrier, mousquetons et casque…Non la dame refusa tout net , gardant son énergie pour les rochers de montagne. Ainsi depuis un an tantôt, la course aux sachets est engagée et difficile devant les tilleul/menthe et autres tilleul/citron… Dans moins de 2 mois ce sera la nouvelle saison du tilleul…La dame vieillissante au cours de ses pérégrinations a traqué tous les tilleuls sauvages de moyenne montagne qui ont les mêmes qualités, démesurés et récoltés jusqu’à hauteur de plafond : inaccessibles vous l’avez compris. Une solution sera, nous n’en doutons pas, trouvée par la dame âgée macgyvérisée pour la circonstance. A moins que l'arbre, compatissant, ait refait quelques branches accessibles...

La camomille ? me direz vous ? Ah la camomille qui simplifie la vie car celle-ci provient des  sachets du supermarché. Oui mais…depuis un temps elle a déserté les gondoles, la camomille…Alors quelques fouilles archéologiques en autres magasins arrivent à satisfaire encore les exigences de la vieille dame…

Image web

Vous avez compris qui sont les deux protagonistes de cet exutoire récit, n’est ce pas….
Point n’est donc besoin de les nommer…
Je ne vous souhaite pas un jour les remplacer...


 A Josy CM

dimanche 8 avril 2018

Balade aérienne dans les corniches de la Jonte (Lozère)

Balade aérienne en corniches (La Jonte, Lozère)

En ce week end Pascal, je n'ai envie ni de neige, ni de montagne ni de randonnées, juste  revoir une région chère en mon coeur, le Causses et plus particulièrement les Gorges du Tarn. C'est parti pour plus de 500 km de route aller retour, avec mon camion, et mon chat . Mathurin est du voyage, Nina a élégamment refusé.
Grand chat a donc tout l'espace pour lui, en particulier mes cuisses lieu privilégié pour la route.
et moi j'ai tout mon temps à lui consacrer...du moins je le croyais...mais il racontera lui même son voyage!

C'était sans compter avec ma maudite curiosité!
Qui me pousse à interroger un groupe de randonneurs...et me voilà partie sinon vers les cimes, du moins au dessus des abîmes. De la Jonte et non du Tarn.

Le décor


Situation du Parc Régional des Grands Causses

Quand on était enfants on nous disait "l'accent circonflexe des cimes est tombé dans l'abîme"...je ne suis tombée nulle part, mieux valait...
Allez suivez moi !
En ce jour 2, après une nuit dans un hameau du Causse, en belle altitude quand même  et avec 3 petits degrés dans ma chambre, je file bon train à travers le Causse endormi jusqu'au hameau de Cassagnes, point de départ de ma rando.

Route de Cassagnes
Cela commence par une route en forêt, puis le parking où je dépose camion et chat enroulé dans une polaire. Cassagnes  dort encore et je m'enfonce en forêt pour une balade à l'envers : et oui, une rando qui commence parune belle descente, cela est nouveau !



La forêt, figée dans le froid et le silence me plait, aucun animal ne viendra me saluer, les longues rangées de pins sont silencieuses. La piste forestière se termine en un sentier qui ouvre sur le décor du jour. Gris et terne, dommage, je sais le flamboiement des couleurs ici...

A la sortie du sentier le décor: vallée de la Jonte vers l'amont


Village de Le Truel (quelque part sur la photo ci dessus) au zoom

Le sentier est odorant car bordé de buis : on est en roche calcaire.
Des pins, des chênes, des genévriers font l'essentiel du boisement. Beaucoup de mousses et de lichens, quelques premières fleurs. Le printemps quoique maussade montre sa force.






Je suis en rive droite de la Jonte dont le filet gris est encore silencieux, 350 m plus bas. Sur l'autre rive le paysage est identique à celui que je parcours.



Rive droite (1er plan) et gauche (2nd )
entre les deux coule la Jonte
et passe la route



Un aspect du décor, sur l'autre rive


Voyez d'une façon générale ce qu'est le Causse, plus parlant que toutes mes phrases.




Extrait d'une de mes conférences
Ici vallée de la Vis

Je préciserai juste que ce vaste plateau tabulaire de roche sédimentaire, ancien fond marin (il y a 200 millions d'années) s'est soulevé voilà plus de 100 millions d'années, ce qui signifie que les rivières , depuis, creusent lentement leur lit dans ce relief . On voit 350 mètres de géologie mise à nu, il y a selon les géologues de 1km à 1.5 km de roche sous le sol du Causse.
Les rivières sont Le Tarn, ses affluents la Jonte et la Dourbie, ainsi que la Vis affluent de l' Hérault. Chacune d'elles coule dans ce type de relief, décor identique mais personnalité propre à chacune.
Nous voici sur les hauteurs de la Jonte, 38 km de longueur.



Le décor sommairement campé, poursuivons notre chemin : il sera silencieux, dans un matin froid, humide, envoûtant.

La pierre est à elle seule un paysage, avec ses couleurs variées selon les ruissellements d'eaux et la nature des sols, et surtout, ses formes que l'on peut, de loin , confondre avec des ruines et des châteaux. Paysage qui fait bondir l'imaginaire..



Mouvements de roche

Des vaisseaux fantômes, des tours crénelées, des draperies, des grottes, des cavernes, des ponts et des arches...et d'autres encore ...chacun y voit ce qu'il veut.

Comme un vaisseau




Passage protégé

Au fond village du Rozier

Parfois il faut grimper de petits couloirs fort raides


Montée dans un couloir



Sous une arche, ou la femme des cavernes
Même si la randonnée n'est pas particulièrement physique, elle demande un pied sûr, pas de vertige, le goût de la fantaisie. Une certaine curiosité...
C'est un site protégé: le royaume des vautours. Habitués à l'humain, inaccessibles, ils ne sont nullement inquiets et peuvent même s'offrir le luxe de contempler les grimpeurs montant vers le ciel.

Petit cercle rouge, le grimpeur
Voie "arête ouest", 6a


Je ne me lasse ni du décor, ni des vautours, ni de ces antres mystérieux que chaque détour du sentier dévoile.




Sans vertige aucun je me penche sur des vides impressionnants, curieusement c'est ce que j'ai au dessus de la tête qui m'impressionne le plus. Pas les vautours mais d'énormes rochers aux formes inquiétantes.


Site d'escalade
Au dessus c'est pas mieux : on l'oublie, il se rappelle à nous, ce décor incertain : voilà 6 ans un pan entier de montagne  s'est effondré...
Gisant presque sur le chemin,
 des randonneurs eussent été épargnés

Pan de rocher effondré : novembre 2012





















Le sentier s'anime : deux cyclistes TRES sportifs, les premiers randonneurs, les grimpeurs et ce drôle de personnage qui au bout d'un sentier interdit est allongé  dans son sac de couchage , sur un éperon fendant la mer (de vide) , lisant Aldous Huxley (en espagnol) après une nuit des plus paisibles 300 m au dessus de son lit (fourgon aménagé). Un farfelu de mon espèce. Mi néerlandais, mi espagnol, il exerce en Lozère son métier de kiné et dort dangereusement! Alors que les vautours tournoient au dessus de son lit .



Le dormeur des corniches dans son décor 























Le sentier, si je le continuais, fait une boucle, rejoint Le Rozier, confluent de la Jonte et du Tarn et revient vers Cassagnes par la corniche du Tarn.

Le Rozier

Passage protégé

Mais mon Mathurin m'attend, je choisis donc le demi tour, en n'omettant aucune des bifurcations du sentier vers des lieux "interdits" car dangereux.



Hors sentier : hauteur sous plafond





Le ciel ne s'est pas dégagé mais la vie a commencé, discrète et feutrée: les touristes sur la route, les villages et leurs fumées, des randonneurs, les grimpeurs qui peuvent prêter à des scènes cocasses: une main qui jaillit de nulle part au plus près de mes pieds, puis un casque et un sourire éclairé par des yeux bleus...
Surgi à mes pieds !


Les miens, d'yeux, se repaissent du décor: j'aime bien revenir par le même sentier car le paysage semble renouvelé vu dans l'autre sens; cela n'engendre pas la monotonie.




Ainsi, les arbres, façonnés par un fantaisiste jardinier, sont à eux seuls un paysage !







Je marche d'un bon train vers Mathurin; je l'aurai quand même abandonné 4 h !

Réprobateur ?
Je retrouve un grand chat paisible mais il a eu peur : il a ouvert la penderie, viré mes affaires et s'est caché dans les étagères. Un peu de pâté de lièvre le réconciliera avec les aléas du voyage !

Quant à moi, je vous invite à d'autres aventures "caussenardes" dans le prochain épisode...





En chiffres : environ 10 km des rando AR