lundi 11 octobre 2021

Route de nuit pour Mantet

J'ai toujours aimé rouler de nuit, voici longtemps que je ne l'avais fait. Ce soir là, un contretemps heureux modifie mes projets et c'est à la noire nuit que j'entame les 75 km de routes sinueuses pour ce bout du monde à 1550 m d'altitude, au fin fond du Conflent. Mantet, un bout de monde où je me sens si bien...


Tout commence au milieu des vignes, puis des villages à traverser, quelques lignes droites au coeur des vergers...me voilà à Villefranche de Conflent, bourg fortifié mais non illuminé en cette saison automnale. Enfin, à 52 km de chez moi, débutent les 23 km enchanteurs.

Dans les vignes



Villefranche de Conflent








Parce que j'aime cette route de jour, mais la nuit en ôte les lointains, il ne reste plus que le paysage immédiat, créé par le pinceau lumineux des phares, un nouveau paysage, un nouveau regard.

Les lointains, la nuit, n'existent plus, et que l'on connaisse ou non la route, elle est une nouveauté. 

Tout change, les reliefs, les couleurs, les lumières.

Il y a le mystère de tout ce qu'on ne voit pas, le mystère de la nuit, mais aussi le regard que l'on ouvre grand, pupilles dilatées et sens aux aguets. On se sent plus vivant qu'en plein jour.

On espère et redoute l'animal qui risque de surgir brutalement, on espère toutefois cet animal, son pelage brillant dans la lumière, son regard étincelant...rien ne se passera sauf le lourd envol d'un oiseau de nuit, ailes déployées brassant la nuit de son vol lourd.

D'abord, c'est Fuilla, celui du bas, du milieu et celui d'en haut, souvenirs d'un soir proche de Noël, d'une nuit près du clocher,  souvenirs du couvre feu, de cette liberté née de la transgression de la règle.

Ensuite Sahorre, un soir d'hiver, une nuit à Thorrent et un réveil glacé, saupoudré de neige.

La route fonce dans le noir, je la sais longue, sinueuse, étroite, le long de la Rotja bondissante, mais je ne vois rien. Que des parapets sinueux comme de gros serpents endormis, des falaises abruptes dont le sommet se perd dans la nuit, un ruban d'asphalte étroit, un périmètre rétréci au possible. Et ma joie...ma sérénité...




Pas de parfums, le froid de la nuit pénètre par la vitre ouverte, le chauffage modère ce froid. La musique, la solitude heureuse.

Les animaux aiment aussi la nuit, je conduis prudemment.

Dans la lueur dorée surgit le vieux camion de Py, gardien immobile du premier virage, avec son énigmatique sourire figé.


Py, souvenirs nocturnes aussi avant une belle et sauvage randonnée de printemps. Le temps passe si vite...

La route de Mantet date des années 60, désenclavant enfin ce bout du monde. Elle a la nuit un aspect encore plus sauvage, tourmenté et magique à la fois. Je crois la voir pour la première fois tant elle est surprenante dans la lueur des phares.

De grandes congères blanches comme neige bordent le ruban noir , ce sont les veines de marbre blanc, jamais aussi blanc que dans la nuit.



Des lumières vibrent dans la nuit, ruban blanc, ruban rouge, elles parlent de piquets à neige, elles évoquent des hivers couverts d'un épais manteau blanc.


Le paysage est rétréci, il semble neuf; les feuillages encore verts, offrent des détails ciselés, alors que de jour ils ne sont que masses de couleurs imprécises, les troncs blancs des bouleaux, striés de noir à la façon de grimaces, tout est nouveau et surprenant si on veut bien l'observer.


Bouleaux et dentelles


Les falaises semblent avoir été recréées sous le pinceau d'un artiste. Elles se colorent, striées de veines plus pâles, elles se parent de scintillements. 

Des drapés, des plissés, habillés de couleurs


Des inclusions en font des draperies, des plissés mouchetés. Il semble que peintres et sculpteurs aient remodelé le paysage dans le pinceau de mes phares. Je suis subjuguée. Je roule lentement, fais des arrêts, descends pour scruter et caresser la roche, dans un silence et un froid glaçant, admirant textures, formes et brillances de gros yeux de micas. Brillant comme les étoiles du ciel sans lune.



Mica

Mica

Stries de mica


Des papillons viennent à ma rencontre, semblables à des flocons de neige.

Pas un oeil ne brille dans la nuit, pas un animal ne foule le tapis ondulant d'asphalte, qui en plein jour est sans relief, plat et morne.

1760 m, je passe le col de Mantet et plonge vers le village dont je vois luire les lumières, 200 m en contrebas.

Mais le brouillard m'absorbe, en volutes mobiles alors que les phares le transpercent comme deux épées. C'est dans un flou artistique que je parviens à Mantet.





Un ciel immensément étoilé coiffe la nappe de brouillard qui monte, pâle et lumineuse, depuis la rivière qui gronde en bouillonnant tout en bas.

Jamais je n'ai mis autant de temps pour parvenir à Mantet, pourtant ce ne fut pas un voyage au bout de la nuit, ce fut un voyage dans le voyage . Il n'est que 22 h 30, une belle rando m'attend demain.




Le récit de la rando en un clic : les yeux caves du Pomerola




mercredi 3 mars 2021

Llar, sonate au clair de lune

 Llar est un petit village des Pyrénées Orientales dont on ne compte plus les habitants puisque Llar fait partie de Canaveilles, depuis 1821. Alors qu'auparavant, jusqu'en 1793, il appartenait à la paroisse de Thues entre Valls. Jolie errance pour un village immobile. Mais s'ils se comptent entre eux, les résidents à l'année doivent tenir sur les doigts des deux mains. 

Llar et le Cambre d'Ase

Llar est au bout d'une petite route (6 km) partant de Fontpédrouse, accès déjà difficile pour le départ, mais c'est un vrai balcon : la route comme le village. Le village est mieux  que ça: à plus de 1300 m d'altitude c'est un nid d'aigle, enfin un belvédère. 



Je connais Llar et je l'aime, ainsi je vais y passer la nuit.

Llar est mon phare lorsque je randonne en face, sur les versants de la Carança, parce que je le suis des yeux et que je commence à me sentir vraiment en haut quand Llar s'amenuise sous mes yeux. Passé 1300 m.


Coucher de soleil à la Carança, face à mon hôtel

Là j'y suis. Llar a deux églises, Saint André, la jolie petite église aux murs croulants  et aux tombes penchées, loin du village et une seconde église, St André, plus récente et plus sévère mais surveillant les belles montagnes en face, et ce cirque inconnu qui me fascine.

Ancienne église St André (réhabilitée, restaurée) et cimetière

La nouvelle église



Quel cirque !


La célébrité de Llar

A Llar, l'église est le terminus des voitures locales (les autres ont un parking) mais le point de départ du magnifique sentier qui descend sur Thues, en bas dans la vallée. D'autres sentiers passent à Llar, le Vauban, qui croise le canal Sauto / Canaveilles un peu au dessus du village. Llar est tout petit, avec de solides bâtisses de schiste, certaines bien ruinées, d'autres bien restaurées, une rue des trois fontaines qui grimpe dur et en haut...trois fontaines...qui chantent haut et fort.

Ce sont elles et l'eau qui s'en échappe qui accompagnent ma visite de nuit, sous la lune toute ronde. ma grosse lampe n'est pas de trop. 



De mon lit




J'ai quitté mon parking tapissé de pelouse; un oiseau de nuit me fait un bout de chemin, au matin ce sera un pivert qui martèlera mon lever.

J'entre dans Llar sur la pointe des pieds, ne pas me faire remarquer. Quand je suis allée chercher de l'eau, l'accueil d'un résident fut plus glacial que la fontaine, il m'ignora comme si je fusse transparente. Alors je rase les murs sombres de ruelles et escaliers de pelouse, même deux chats me reçoivent inamicalement. C'est rare ça.





La maison d' Antoine Pagès

La lumière est chiche mais donne à toutes ces zones d'ombres, coins et recoins, un air de mystère. Thues clignote 400 m plus bas et la vallée est silencieuse et déserte, c'est couvre feu.

Thuès en bas dans la vallée

Je me faufile partout, de blancs fantômes s'agitent en contrebas, une blanche lessive séchant au vent de la nuit. Entre la pleine lune qui joue avec des nuages, la chouette dans les bois, ces draps blancs, les chats furtifs, il y a de quoi...se régaler à cette atmosphère.





C'est la nuit qu'il faudrait visiter les villages.

Quelques fenêtres mettent une touche de couleur dans tout ce noir et ma lampe aide à illuminer le vert.










Je partirais presque randonner!

Pourtant je regagne sagement mon parking face à la Carança où j'ai vu mourir les dernières couleurs du jour. Qu'est ce que c'est beau ! Silence parfait dans les bois qui m'entourent.

Pas belle la Carança au couchant ?

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PS : Llar ne provient pas du latin Lar - Laris signifiant le foyer mais de Lar -Lare- Laricium, landes. (Comme Llaret, près des Angles) . cf Lluis Basseda, "Toponymie historique de Catalunya nord".

mercredi 24 février 2021

Canaveilles (66) un couvre feu incandescent

 Canaveilles, 18 h, j'ai pris place contre le mur bas du cimetière, le lieu que je préfère dans ce petit village, de toute façon le parking est là. J'y suis venue plusieurs fois et j'y reviens avec joie. C'est un belvédère d'où l'on voit le Canigou et le hameau ruiné de En, proche de Nyer. On voit aussi l'esquisse de la vallée de la Têt s'ouvrant vers l'est. On est aux premières loges devant l'église St Martin au clocher qui détone ici, et le petit cimetière aussi en pente que ses croix sont penchées. 

Mon bivouac

Je connais le village d'une vingtaine d'habitants, je l'ai visité, mais jamais la nuit.


Eté 2020, décor végétal


Ce soir je n'en ai pas envie. Un vent humide  me tient au chaud, ma soirée est rythmée par ma voisine, la cloche, et le ronron du chauffage. Le ciel est serein, lune et étoiles y occupent tout l'espace. J'ouvre la porte et je suis saisie ! Une brume échevelée, au ras des toits, virevolte en volutes de fumée inodore, c'est trop beau, il faut que j'aille marcher dans cette drôle d'atmosphère. 

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Un chat glisse furtivement entre les tombes voisines, la queue à l'horizontale, pressé et soucieux de passer inaperçu. Il s'enfonce dans la nuit, sourd à mes appels.


 La brume ouatée et pressée lui emboite le pas, montée de la vallée, poussée par un vent tantôt tiède, tantôt glacé. Je me fais silencieuse dans LA rue, car il n'y en a qu'une à Canaveilles, enserrée entre des murs de schiste, étroite, pentue, le sentier Vauban. 

                                                                                               



Le reste ne sont qu'impasses ou escaliers perdus dans l'obscurité. La lumière orangée réveille des murs de schiste, le ventre arrondi d'un four, des tas de bois dans une cour, des rosiers aux toutes jeunes feuilles cramoisies. Zones d'ombre et jeux de lumière. Dans la vallée, les lumières de Thuès clignotent et monte le bruit discret d'une voiture échappée au couvre feu.





Un oiseau de nuit hulule, les lampadaires font des halos où court, danse et virevolte la brume, il semble que l'on sorte d'un film anglais, c'est lugubre.






Deux silhouettes m'observent depuis une terrasse, engoncée dans ma veste, bonnet sur la tête, appareil photo en main.


Dans une vitre miroir

et en ombre portée

Des fenêtres dévoilent un peu d'intimité et de chaleur humaine. Style vitraux.


Style vitraux


La rue , depuis le cimetière descend fortement vers la nuit dense et épaisse. La brume redouble, elle arrive par cette rue, elle se bat avec les lampadaires, se heurte aux murs, à moi aussi sans doute, peut être même à l'eau qui court dans le ruisseau. 






Elle se suspend aux branches des arbres nus en guirlandes heureuses, elle voile les étoiles, elle se déchire aux lampadaires et s'enroule dans la nuit. J'avance en silence, espérant qu'aucun chien ne signalera la présence de la discrète voyeuse que je suis. C'est le silence immense, rythmé par la cloche un peu fêlée, bientôt elle aussi dormira.











Canaveilles, le jour, est sympathique.

Découverte, octobre 2009

Canaveilles, le nuit, est mieux que ça.

                                                                                                        






Je sais que, face à mon lit, le Canigou veille sur moi.




Je sais que l'église, le clocher et les défunts, tout contre moi, veillent sur moi. Un cimetière est plein de vie. Chaque tombe enferme le secret d'une vie. La mort d'aujourd'hui, poussière dans des urnes, a perdu son âme.