mardi 27 décembre 2016

Les mots pour le dire

La photo que je tiens entre mes doigts n'est pas une photo de moi; ni une photo prise par moi.
C'est une vieille photo, elle a un quart de siècle, je l'ai retrouvée dans ma photothèque, logée dans un album que je n'avais pas ouvert depuis...depuis peut être un quart de siècle.




Cette photo représente une jeune femme que j'ai bien connue autrefois.




Sur cette photo, la jeune femme pose pour le photographe; elle se tient dans une rue, devant un mur, le décor est minimaliste et laisse toute sa place au personnage. Elle est debout, c'est l'été, elle porte une jupe noire un peu courte -elle est jeune et mince-, un chemisier fleuri à manches courtes, très gai, très coloré, printanier. Un sac en bandoulière, des chaussures à lanières, pas de bijoux, une grande simplicité. Sa peau est brune et bronzée, ce qui me conforte dans l'idée que c'est l'été. Il n'y a rien que de très simple et ordinaire dans cette photo, on pourrait peut être n'y prêter aucune attention .
Si ce n'était le visage. Ce visage, somme toute assez ordinaire, dégage une grande tristesse. Un visage étroit et triangulaire, encadré d'une masse de cheveux noirs, une frange qui dévore le front et deux grands yeux sombres, atones, inexpressifs, un visage sans regard, un visage sans sourire. Ce regard retient l'attention car il ne regarde...rien. Ni l'objectif, ni le photographe, ni le décor, un regard fermé, sans vie, oui c'est cela un visage sans regard. Ou un regard tourné en dedans, dans un monde qu'on ignore.



Ce qui lui confère une incommensurable tristesse.
Car la jeune femme est triste, je m'en souviens à présent, de cette tristesse aux confins du désespoir.
Désespoir chagrin mais aussi désespoir sans espoir. Les deux sens du mot.




Non je ne montrerai pas cette photo, je la garde précieusement et je la repose dans son album, je la rends à son sommeil d'un quart de siècle. Pour plus longtemps encore sûrement.
La jeune femme n'est plus de ce monde voici longtemps. Elle est partie en silence, sans se retourner, sans regrets je pense, terrassée par la violence dans laquelle elle baignait.
Non pas la violence physique, celle qui laisse des bleus au corps et au coeur, celle qui laisse des traces visibles et tangibles. Mais par celle discrète, savante et assassine des mots qui font mal, qui cognent et détruisent, qui lapident dans le silence de l'intimité, qu'on ne peut deviner, qu'on ne peut dénoncer, celle des mots savamment décochés, cruellement assénés, qui laissent le corps intact et le coeur en vrac, qui colorent de bleu jusqu'au plus profond de l'âme.





Elle a tiré sa révérence, un jour, impuissante à trouver juste quelques mots, les mots pour le dire...




vendredi 9 décembre 2016

Un sourire pour l'éternité

Il avait l'âme vagabonde et l'existence sédentaire.



2007 : il m'accompagne à la Seyne s/mer
me faire soigner le dos
Parfois il me confiait, quand j'étais plus jeune et que je n'avais pas l'âme aussi vagabonde qu'aujourd'hui : "Je me verrais bien parcourir les routes vêtu d'un grand manteau et un bâton à la main..."Je prenais ça pour une boutade et j'en riais; je n'ai jamais approfondi ni posé des questions, on n'imagine pas son père, doté d'une existence stable et heureuse, pleinement épanoui dans ses vignes , s'amusant même dans son travail qu'il rendait poétique et original, on n'imagine donc pas son père sur les routes, vêtu d'un grand manteau, les cheveux au vent, une gibecière sur l'épaule et pourquoi pas ? le litron à la main !




1951: la famille est fondée, je suis
 déjà
au guidon

1945 USA Alhabama
Vagabond il ne l'avait jamais été mais n'avait pas hésité à 20 ans, en pleine guerre, à filer aux Etats Unis pour voler de ses propres ailes, au sens propre, devenir pilote et se joindre aux forces devant libérer la France.


Audacieux et téméraire. Epris de Justice et de Liberté. Mais fortement ancré dans sa terre qu'il s'employa à travailler et cultiver sitôt revenu de son rêve américain. Et fonder une famille dans la foulée.

C'était un homme sage mais son esprit était facétieux, créatif, inventif: son évasion et ses vagabondages à lui. Il créait des machines et modifiait celles qu'il achetait. Son esprit vagabondait sans cesse. Il souriait toujours...au présent ? Ou à ses rêves...


La cueillette des cerises: il se marre même
dans "l'accident"

On ne connaît jamais assez ses parents...
J'aurais aimé lui dire...lui demander...pousser davantage cette porte sur laquelle s'ouvrait cette image : un homme courant les routes un baluchon à l'épaule et un bâton à la main.


Le cadre de son décès : il a gardé la bêche à la main
et avait posé sa casquette sur le tronc d'arbre

(DCD d'une crise cardiaque)

Une boutade sans nul doute, mais qui cachait une part de vérité, de rêves enfouis et un désir d'évasion.
Sans doute aussi, parfois, las ou épuisé de travail, voyait il là son repos.

Comme d'autres rêvent d'un transat au bord d'une piscine.
Il ne voyait pas le repos dans la contemplation, il ne le voyait que dans l'action.

75 ans :Mon père se repose : mais oui
Il appelait cela "les travaux imbéciles"
(ceux qui étaient moins utiles)

Alors le transat et la piscine...Non marcher l'eut reposé de son travail et des soucis afférents à la vie paysanne.
Peut être en travaillant les vignes marchait il dans sa tête ?


Son travail la veille de sa mort (86 ans)


J'aimerais tant savoir ce qui se cachait derrière cette boutade..
Il m'aide à préparer ma vie semi nomade
2007
Un jour, peut être, quand je le rejoindrai, me le racontera t'il car je penserai alors à le lui demander.
Si personne ne se met entre nous pour couper court aux confidences.



Il doit apprécier ma vie, celle que je me suis construite pas à pas depuis dix ans, mon nomadisme à moi qui lui ressemblais tant. Il doit bien être le seul, dans mon entourage à la considérer d'un regard positif. Comme le fait mon frère toutefois.

Un jour je lui demanderai. S'il s'en souvient encore, là haut, lui qui vagabonde peut être d'un bout à l'autre du ciel et qui pousse les nuages, comme je croyais, quand j'étais petite, que c'étaient les morts qui orchestraient la course des nuages....



Aujourd'hui, dans son cadre de porcelaine, il sourit pour l'éternité. Et quand je vais le voir, je ne le quitte jamais sans un salut enjoué, puisqu'il est enjoué dans son cadre ovale, comme il le fut de son vivant.