mercredi 24 février 2021

Canaveilles (66) un couvre feu incandescent

 Canaveilles, 18 h, j'ai pris place contre le mur bas du cimetière, le lieu que je préfère dans ce petit village, de toute façon le parking est là. J'y suis venue plusieurs fois et j'y reviens avec joie. C'est un belvédère d'où l'on voit le Canigou et le hameau ruiné de En, proche de Nyer. On voit aussi l'esquisse de la vallée de la Têt s'ouvrant vers l'est. On est aux premières loges devant l'église St Martin au clocher qui détone ici, et le petit cimetière aussi en pente que ses croix sont penchées. 

Mon bivouac

Je connais le village d'une vingtaine d'habitants, je l'ai visité, mais jamais la nuit.


Eté 2020, décor végétal


Ce soir je n'en ai pas envie. Un vent humide  me tient au chaud, ma soirée est rythmée par ma voisine, la cloche, et le ronron du chauffage. Le ciel est serein, lune et étoiles y occupent tout l'espace. J'ouvre la porte et je suis saisie ! Une brume échevelée, au ras des toits, virevolte en volutes de fumée inodore, c'est trop beau, il faut que j'aille marcher dans cette drôle d'atmosphère. 

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Un chat glisse furtivement entre les tombes voisines, la queue à l'horizontale, pressé et soucieux de passer inaperçu. Il s'enfonce dans la nuit, sourd à mes appels.


 La brume ouatée et pressée lui emboite le pas, montée de la vallée, poussée par un vent tantôt tiède, tantôt glacé. Je me fais silencieuse dans LA rue, car il n'y en a qu'une à Canaveilles, enserrée entre des murs de schiste, étroite, pentue, le sentier Vauban. 

                                                                                               



Le reste ne sont qu'impasses ou escaliers perdus dans l'obscurité. La lumière orangée réveille des murs de schiste, le ventre arrondi d'un four, des tas de bois dans une cour, des rosiers aux toutes jeunes feuilles cramoisies. Zones d'ombre et jeux de lumière. Dans la vallée, les lumières de Thuès clignotent et monte le bruit discret d'une voiture échappée au couvre feu.





Un oiseau de nuit hulule, les lampadaires font des halos où court, danse et virevolte la brume, il semble que l'on sorte d'un film anglais, c'est lugubre.






Deux silhouettes m'observent depuis une terrasse, engoncée dans ma veste, bonnet sur la tête, appareil photo en main.


Dans une vitre miroir

et en ombre portée

Des fenêtres dévoilent un peu d'intimité et de chaleur humaine. Style vitraux.


Style vitraux


La rue , depuis le cimetière descend fortement vers la nuit dense et épaisse. La brume redouble, elle arrive par cette rue, elle se bat avec les lampadaires, se heurte aux murs, à moi aussi sans doute, peut être même à l'eau qui court dans le ruisseau. 






Elle se suspend aux branches des arbres nus en guirlandes heureuses, elle voile les étoiles, elle se déchire aux lampadaires et s'enroule dans la nuit. J'avance en silence, espérant qu'aucun chien ne signalera la présence de la discrète voyeuse que je suis. C'est le silence immense, rythmé par la cloche un peu fêlée, bientôt elle aussi dormira.











Canaveilles, le jour, est sympathique.

Découverte, octobre 2009

Canaveilles, le nuit, est mieux que ça.

                                                                                                        






Je sais que, face à mon lit, le Canigou veille sur moi.




Je sais que l'église, le clocher et les défunts, tout contre moi, veillent sur moi. Un cimetière est plein de vie. Chaque tombe enferme le secret d'une vie. La mort d'aujourd'hui, poussière dans des urnes, a perdu son âme.









lundi 22 février 2021

Nyer (66) à l'heure interdite

 Nyer, village de moyenne montagne, à 3 km de la grand route, n'est pas vraiment perché sur les hauteurs mais étagé sur plus de 100 m au dessus de la rivière Le Mantet. J'aime dormir près de l'eau, en lisière de forêt, malgré l'humidité. Cela contribue aux parfums, aux sensations, en un mot à l'atmosphère. Et puis il y a la musique apaisante de l'eau qui berce le sommeil. 


La première des heures interdites


Nyer vu des hauteurs de Canaveilles


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A l'heure interdite, je quitte la chaleur douillette de mon bivouac à moteur et je pars à la découverte nocturne du petit village que je connais bien. Il me suffit de traverser le pont et de monter. Ruelles escarpées bordées de maisons de pierre, lumières blondes d'un éclairage qui a caché ses fils, reflets et brillances, froidure et parfum âcre des fumées de montagne, silence dans les ruelles et murmure  des fontaines. C'est l'heure bleue des soirs qui commencent à s'étirer, que l'heure noire va bientôt dévorer.


L'heure bleue

Dans les bois tout proches, un oiseau de nuit hulule, il semble donner le LA aux rossignols qui entreprennent leur concert où s'invitent d'autres oiseaux. Certains profitent de la musique pour débuter un ballet aérien au ras des toits, peut être curieux de cette humaine qui brave l'heure interdite qu'affiche pourtant le joli clocher comme satiné dans cette blonde lumière.











Je suis seule et cela ne doit rien au couvre feu, mais pour apprécier de tels instants, être seule est vital.

D'ailleurs la solitude m'est essentielle, vitale.

C'est mon Royaume. Dont je sais aussi entrouvrir les portes, j'ai besoin de partager . Envie de partager.

Les ruelles de Nyer sont si étroites que les rares véhicules qui s'y glissent demandent une conduite minutieuse. 









A pied, on semble marcher sur des chemins de ronde . 

Arrivée sur la place de la mairie, je me penche sur des cris d'enfants : ils jouent aux balançoires tout en bas, un petit chien blanc comme coton partage leurs envolées aériennes et leur joie, tandis qu'un chat noir m'attend derrière ses barreaux, vient me saluer avec majesté et dédain puis descend les marches pour aller vers ce festival de rires enfantins.






       



 Un moment plus tard, les enfants s'égayent dans les rues, une boule blanche dans les bras et le silence revient, léger et glacé.








Mais qui m'attend sur cet appui de fenêtre ? C'est amusant, c'est beau, c'est sinistre, deux têtes comme décapitées, cela jette un froid auquel je ne m'attends pas...



Voici déjà le château, il est assez récent, élégant, style renaissance, fin 15 eme siècle, il signe lui aussi une page de l'Histoire très tourmentée (et violente) de ce petit village.










Les jardins du château

Ce château abrite à présent un restaurant (fermé pour les raisons que l'on sait) mais aussi un hébergement pour personnes âgées, adultes et enfants handicapés. A cette heure interdite, une vie douce et soyeuse semble se tisser entre les murs, derrière les jolies fenêtres. 

                                                                                                

Discrètement je longe les murs, vole quelques images, ignore les plus jolies. On a dressé de jolies tables, c'est la Saint Valentin ce soir. Ces anciens Valentins et Valentines tassés sur leurs fauteuils, immobiles et avachis, se souviennent ils encore qu'ils furent de fringants amoureux, il y a si longtemps ? Je quitte sur la pointe des pieds ce moment de grâce apparente et peut être illusoire, le coeur serré devant les ravages du Temps, celui qui m'attend impitoyablement. Le château imperturbable traverse les siècles, veille sur ce morceau de village coloré à ses pieds, jailli d'un noir d'encre, et je me glisse comme un fantôme dans les ruelles silencieuses, le concert des oiseaux est  terminé, le chant de l'eau vient à ma rencontre et ne se taira jamais. 10 heures de sommeil m'attendent, je ne le sais pas encore.




Demain sera un autre jour...

Une très belle rando m'attend sur les chemins oubliés du Temps oublié.