dimanche 22 décembre 2019

Une nuit à La Llau, sous la pluie.

La Llau...L'Allau ...l'avalanche. Ou l'éboulement.
C'est un petit hameau perché à plus de 900 m d'altitude, voué à l'agriculture et à l'élevage surtout, doté d'une petite chapelle St Côme et Damien, flanquée jadis d'un petit hospice pour les voyageurs. Ces voyageurs qui devaient descendre de St Guillem, en partance pour Ste Cécile de Cos et plus tard vers St Jacques de Compostelle...Quel périple de vallée en vallée et de crête en crête.



Mais je n'en suis pas là en cette noire nuit vaguement tempétueuse ou annoncée comme telle.
La tempête secoue la côte atlantique et va secouer l'extrême est de la France, la Méditerranée; nous sommes au milieu.
J'ai choisi de partir de nuit avec mon kangoo sommairement aménagé. La route est très étroite pour mon camion, pas mieux pour le kangoo, mais surtout, là où j'ai choisi de dormir, l'espace est exigu. Il y a bien un parking, loin du hameau, mais en bord de rivière et donc chargé d'humidité et pas de place non plus dans le hameau.




Je ne serai pas mieux avantagée en matière d'humidité ! Même si je parviens juste à me loger.
Le vent qui a suivi toute ma route balaie la vallée haut perchée et fait protester les arbres malmenés. Les sonnailles des vaches en pleine pente au-dessus de moi ne doivent rien au vent et les 900 m d'altitude n'ont pas froid en cette soirée agitée.
Me voilà "chez moi", le repas chauffe sur mon réchaud, le chauffage reste muet. La pluie s'invite rapidement.

Dans la nuit, sous la pluie, depuis mon lit

Quelques notes de musique résonnent dans la nuit; le vent s'est calmé, le ciel constellé d'étoiles s'est voilé et la musique de la pluie sur le toit devient mouvante. Un peu de vent l'accompagne peut être.
Bien au chaud dans mon duvet, j'écoute la musique de la pluie. Une petite bougie parfumée vacille. Mais de quel bois suis-je faite pour aimer cette soirée-là ? Il ne me manque qu'un chat, un pelage soyeux, un ronron bienheureux. Peut être aimerais-je une balade dans la nuit, sous la pluie? Je ne suis pas équipée. Alors j'écoute....


.Cela me rappelle les nuits océanes d'autrefois, il y a si longtemps. Seule la musique de la pluie de là bas revient chanter à mes oreilles. La même fréquence un peu irrégulière, plutôt pressée,  assez cadencée, celle des gouttes de tous calibres qui la composaient. J'entends les nuits de Santillana, de Galicia, du Pays Basque ou de Suances. Longtemps je vais écouter cette musique d'un temps retrouvé.
Pourquoi entends-je cela à La Llau, en ce coin reculé de montagne, si loin dans le temps, si loin dans l'espace ?
Quelle magie de la nuit, quelle magie de la pluie s'invite donc ici ?
Bercée par la pluie je m'endors.




Un petit matin absolument irréel me cueille à mon réveil. Il pleut encore un peu, averses éparses et fines, mais quelle lumière, quelle couleur sépia entoure ce matin, les flaques, les ornières, les empreintes, les montagnes, le bétail. Un lourd tracteur va et vient, nourrissant et abreuvant le bétail dans la glaise des prairies et du chemin. Sous la pluie fine, je capte les couleurs, la lumière, les reflets, tous ces moments d'une éphémère beauté qui étaient peut être tout entiers contenus dans cet irrépressible appel qui m'a conduite ici hier au soir dans la noire nuit ventée ?














Plus tard, beaucoup plus tard, de retour de balade, j'irai saluer La Llau. Un chat me fera un brin de causette et de conduite. Avant que ne disparaisse le hameau ensoleillé derrière sa dentelle d'arbres dénudés.




Derrière la dentelle, le hameau

Et tout là haut....St Guillem de Combret et les sommets 


                                                                            A bientôt La Llau, en été, pour de beaux sommets

A Ludo....

dimanche 1 décembre 2019

Tais toi !!

Je suis bavarde.


Mijanes Ariège

Hameau de Silence, Lavelanet,
Ariège





















Apparemment c'est un défaut. Bon je ne suis pas une bavarde qui raconte n'importe quoi, ni une bavarde médisante, ni une bavarde qui parle pour ne rien dire, en général.
Mais je parle, je m'exprime. J'aime raconter, avec humour, autodérision souvent, avec passion bien sûr.
Je crois que dans le ventre de ma mère je devais déjà émettre des borborygmes !




 En tout cas, toute petite, je m'exprimais et même très bien puisque les austères soeurs de mon grand père venaient me chercher pour égayer leurs ternes après midi de province.


Je ne sais quand je commençai à indisposer ma famille par mon verbiage, je ne m'en souviens pas, mais je sais que je le fis : on ne me supportait pas. Mon "petit" frère me le rappelle parfois, lui qui parle  si peu. Bien sûr c'est normal, j'ai pris toute la place.


Plus tard on me reprocha de saouler la famille; j'étais déjà enseignante, j'ajoutai une tare à la première puisque les enseignants sont bavards. Leur métier les oblige à parler même quand ils n'en ont pas envie, et, pire encore,à répéter ce dont ils se passeraient bien.

Alors, lorsque j'aidais la famille aux récoltes, on me reprochait de parler. Je collai un walkman ( c'était l'époque de cet engin voué aux oubliettes)  à mes oreilles pour garantir la quiétude de celles d'autrui.


Aujourd'hui je vis seule, je cultive la solitude donc le silence forcé.
Je randonne seule, je voyage seule, je travaille seule et je parle à mes chats, eux adorent ça, je le vois et finalement c'est à eux que je préfère parler.
Je parle aux vivants qui me cotoient, (je parle trop), je parle aux morts que j'aimais (je ne leur parle pas assez), je parle aux vignes, aux plantes, aux roches et aux montagnes. Tant pis si on me surprend, à présent -fort heureusement- parler tout seul n'est plus signe de folie, mais de normalité, avec les kits téléphone mains libres c'est une routine : ouf !!

Pourtant...un jour, au début de mon célibat forcé, puis forcené, mes parents dirent à la jeune senior que j'étais : "Si un jour tu rencontres un homme, tais toi !!". Cela me parut si stupide, incongru et inquiétant, surtout effrayant, que je me tus radicalement et n'osai poser la question qui me taraudait : "Pourquoi ???".
16 ans après je n'ai toujours pas la réponse, bien que je leur aie posé la question plus tard. Mais ils ne savaient plus.
Je fis des rencontres et je n'eus même pas à me forcer à me taire; ces messieurs ou ces dames étaient TOUS bien plus bavards que moi, et je ne pouvais "en placer une".
Finalement je préférais ma vie de silence.



Aujourd'hui, je suis une handicapée de la parole.
Je parle, certes, mais j'ai toujours peur de dire quelque chose de travers, ou qui soit mal interprété, ou qui peine, blesse et heurte, ou qui contienne des sous entendus que je ne mets pas, ou qui donne une fausse image de moi, et après une journée passée en compagnie, je dors mal, je stresse ou me réveille en pleine nuit dévorée par l'angoisse, la honte de m'être livrée, la culpabilité d'avoir peut être heurté : quelle galère !
Alors que faire ?

Peut être la solution ?


Ecrire...
Mais on m'a tellement dit : "N'écris pas !!!"
Heureusement il me reste la solitude, la terre, les roches, les chats, les routes et...moi, mon inconditionnel auditeur!

Quand je pense que dans ma vie j'ai tant de fois dit et répété : "Tais toi ! " ou "Taisez vous!"...à mes élèves....Je le regrette presque.

Annexe : quelques mots
Bavard = xerraire en catalan, parlanchin en espagnol, falador en portugais et...loquace en italien!

mercredi 16 octobre 2019

Je m'appelle Blizzard et j'étais chat heureux

J'étais chat heureux et depuis hier soir je repose dans la terre de ce jardin que j'aimais tant.
Je suis parti, comme disent les humains, après une longue et cruelle maladie.
J'ai eu un cancer du foie et j'ai tenu 22 mois, aidé par mes humains.
Ils me pleurent aujourd'hui mais il ne faut pas, je suis bien, à présent.
J'ai une jolie histoire, et eux ont rendu belle ma vie.


une des toutes premières photos
2003

Je suis né avec mes trois frères et soeurs en pleine campagne, il y a 16 ans. Ma maman, une chatte sauvage, a mis bas loin du village puis nous a transportés un par un dans une maison, celle où j'étais jusqu'ici. Parce qu'elle y avait déjà amené mes trois soeurs deux ans auparavant.
Avec ma soeur Syrah, déjà fusionnels tout petits
13 ans plus tard, et toute la vie comme ça avec Syrah

Aujourd'hui, dans cette maison, il reste ma jumelle Syrah, aussi noire que j'étais blanc et Blanche, toute noire, 18 ans. Ne cherchez pas à comprendre, notre humaine manie les prénoms avec humour. J'étais blanc, je suis Blizzard, ça va de soi, Syrah est noire, comme le raisin qui lui a donné son nom et Blanche ? Allez savoir...elle a une tache blanche alors notre humaine disait "Elle est blanc très cassé, faute d'être tracassée"...Pff... quel langage !
Maman chatte nous a portés un par un sauf que j'étais le plus gros et qu'elle m' a laissé deux jours (et nuits) tout seul car elle était épuisée. Depuis j'ai toujours souffert de ce que mon humaine appelait le "Syndrome de l'abandon", bref je ne supportais pas qu'on me laisse. Mais j'ai appris dans mes 16 ans de vie...

Un jour, j'avais 3 ans, mes humains se sont séparés. On est restés avec Elle et un grand vide...
Parce qu'avec lui on jouait beaucoup, il adorait ça. Avec Elle c'était triste, on la consolait. Et on s'ennuyait un peu. Mais d'autres chats sont arrivés et on a formé une jolie famille.

2008, nomadisme en caravane


Repas à la fourchette, 2008

Nos humains même séparés sont restés proches de nous et quand elle s'est mise à partir pour ses sacrées montagnes c'était lui qui s'occupait de nous, la vie s'est bien réglée, on était heureux. Parce qu'ils nous aimaient tous les deux.


Avec mes humains, 2016

























Les chats de divorcés, c'est comme les enfants de divorcés...on a essayé mais ça n'a pas marché...on aimait bien quand il mangeait à la maison, une patte sur l'un, une patte sur l'autre...on était contents et eux aussi.


2010

Petit Grain, Mandarine, Orange, Muscat, sont partis. Il ne restait que nous trois...A présent je dors sous terre dans le jardin. Sur ma tombe elle a écrit mon nom, les dates, elle a mis des fleurs, une bougie. Je le vois tout ça, et aussi qu'elle passe plusieurs fois par jour et qu'elle me dit un mot gentil.





J'aurais aimé rester plus longtemps, mais j'étais si malade, si mal, c'est bien pour moi d'avoir fini.
La dernière nuit, elle n'a pas voulu me déranger, elle me l'a dit; tous les soirs elle me portait jusqu'à son lit, je n'avais plus la force. Au matin, elle a essuyé les larmes de mes yeux, elle savait comme moi que c'était fini. Je suis content d'être parti. Une grande lumière m'a attiré, je me suis endormi, j'ai vu tout ce qu'ils ont fait, je ne pouvais plus redescendre. Peut être je retrouverai tous mes frères et soeurs, là bas ? Ils sont dans le jardin, avec moi.

Ma dernière photo au matin de ma mort
Elle m'a porté dans le jardin au soleil

Derniers câlins



Je voudrais leur dire qu'enfin je suis bien parce que je souffrais les derniers temps. J'avais toujours faim, toujours soif, et je n'avais que la peau et les os, couverts d'un poil affreux. Elle me brossait doucement, elle me prenait comme si j'avais du me casser, j'étais comme des bâtonnets de verre. A la maison tout était organisé pour moi, les chaises pour que je puisse monter et descendre des tables, des couvertures là où j'aimais dormir, elle me portait tout le temps, pour boire, manger, dormir, je sais, sa vie était organisée autour de moi depuis plus d'un an.

5 jours avant ma mort
Mais je les attendais toujours avec le même bonheur, j'allais encore
 jusqu'au portail les accueillir

Avec Edmond mon vieux copain, une semaine avant
Hier soir elle a allumé un feu de bois dans la cheminée, elle avait bien compris que ce serait le dernier de ma vie...J'étais trop épuisé pour le savourer. Quand elle partait c'était mon humain qui s'occupait de moi, il me donnait à manger plusieurs fois par jour, parfois il venait manger avec moi, je n'ai jamais été seul. Elle revenait vite des montagnes pour moi, elle me parlait au téléphone et je lui répondais, elle ne partait jamais sans me supplier : "Attends moi, je reviens vite"...Oui je suis parti plein d'amour mais je leur en ai donné aussi. J'ai appris à Syrah petit à petit à se passer de moi, elle était toujours dans mes pattes, au lit ou au canapé, j'ai appris à mon humaine à dormir sans moi...Il le fallait...pour quand je ne serais plus là. Voilà, je dors dans le jardin que j'aimais tant, pour toujours et je suis bien, sous le jasmin, la verveine et le qumkat. Et l'hortensia. Je leur donnerai un peu de moi...
Je m'appelle Blizzard et j'étais chat heureux... 11 octobre 2019


Ils se relaient autour de ma tombe






jeudi 29 août 2019

La déprime

Je me réveille de la sieste. Une sorte de brume, dans cette chaleur empesée de cet insupportable été. Août touche à sa fin. Je me réveille et je reste immobile, quasi incrustée dans ce dessus de lit de coton, incapable du moindre mouvement. Comme momifiée. Mes chats le sont aussi. Nous sommes inertes et incrustés alors que le ciel incandescent écrase tout sur son passage. Incapable de me lever, d'effectuer le moindre geste. L'horloge du village égrène ses quart d'heure imperturbables. Sous un ciel de feu. Pourtant j'aime ces ciels de feu, réminiscence des étés d'enfance. Rien n'y fait. La déprime a installé ses quartiers d'été en moi, inexorable, imperturbable, insatiable.




Depuis que j'ai commis l'erreur de me retourner, de regarder dans le rétroviseur de cet été presque enfui. Un jour, un instant, je me suis retournée, j'ai oublié que je ne le faisais jamais, que je ne regardais que devant . Je l'ai fait, un instant, un instant de trop, trop tard, et ce que j'ai vu me fut fatal.
"Un été de porcelaine" chantait quelqu'un jadis...la porcelaine est fragile et se brise.
Alors, la déprime, ma vieille compagne, longtemps combattue, est revenue sans s'annoncer et c'en fut fini de ma sérénité, de ma tranquillité imbécile.



Je ne bouge toujours pas, pas encore, pas tout de suite.
Pourtant mon environnement est rassurant.
Ce matin, pour échapper à la déprime, j'ai lavé, nettoyé, ciré, dépoussiéré. Mon environnement brille, sent bon, tout est rangé et en place pour ne pas fatiguer mon regard.
Trop tard...




Depuis des jours, je lutte et je combats. Tout est propre dehors, dans le jardin, dans la maison, tout est fait au cas où je ne pourrais plus. La déprime détruit tout, jusqu'à la moindre parcelle d'énergie et il y a longtemps que je l'ai évincée, oubliée. Elle non. Elle attendait le pas de trop, la faille, l'erreur de parcours.
Je me suis retournée, j'ai regardé en arrière. Pas un regard innocent et c'était là qu'elle s'était lovée. Au détour de ce regard.
Ce que j'ai vu n'était ni reluisant, ni rassurant. Elle m'a sauté au visage en quelques instants et depuis c'en est fini. Je lutte contre elle; elle a un défaut ma déprime, elle n'aime ni l'altitude ni l'action et c'est là que je peux la tenir en respect. J'en use. Mais je ne m'abuse pas.



C'est elle qui allume des perles dans mes yeux, des perles de pluie qui mouillent même la nuit, qui me réveillent au coeur de la nuit.
Je serre les dents, je raccomode la carapace, mais je sais...je sais que je ne sais pas quoi faire, comment l'éradiquer.
Je ne sais même pas, depuis le temps qu'elle s'était enfuie si Messieurs Prozac et Lexomil sont encore en vie. Je tarderai encore un peu à les appeler, je veux rester éveillée. Je m'accroche à ce qui me reste, à ceux qui me restent : la montagne et mes chats. Pour le reste, les points d'accroche sont délités.
Mais qu'est ce que j'ai donc vu dans le rétroviseur de cet été incandescent ? Justement...justement rien....




Rien qui fait qu'on puisse encore se sentir un être humain.
Ce que j'ai vu...ah ce que j'ai vu....cette chose infâme que j'avais combattue, apprivoisée, aimée, recherchée, au fil des années et qui soudain refait surface, comme neuve, comme nouvelle née, cette immortelle, cette infamie dont j'avais fait une amie : LA SOLITUDE qui s'acoquine avec cette autre ennemie à laquelle elle emprunte le nom, pour un jour, une semaine, un mois ou plus...LA DEPRIME.
Le voilà mon cadeau d'été..je dois le déguster avant que de m'en débarrasser.
D'une manière ou d'une autre j'y parviendrai. En silence ou en secret...enfin presque puisque à présent j'en ai parlé.