mardi 7 novembre 2023

Les mains et la pierre

 Dans ces montagnes que je visite dans leurs moindres recoins, quand je rencontre un mur, ce ne sont pas des pierres que je vois mais des mains, des mains assemblant ces pierres.


Cortal versant soleil secteur Bareu

Ces mains très précises, noueuses et calleuses, habiles et rugueuses, appartiennent à des silhouettes imprécises, debout, accroupies ou agenouillées, imprécises comme des esquisses, et pourtant aux gestes d'une extrême précision.

Quand je rencontre des murs, c'est leur histoire que je vois, leurs fêlures, leurs blessures, leur force et leur faiblesse. C'est leur vie qui s'inscrit, en un décalage sur leur façade, une facture différente, un ajout, une réparation, un effondrement, un arbre qui s'y est réfugié, une plante grasse qui s'y est nichée, une racine qui l'a écartelé.


Serrat de las Llenyas


Etait-il là avant le mur, ou après ?



Un habitant encombrant

C'est le passé qui s'inscrit, c'est le présent qui se lit et le futur qui s'invite.

Où est partie l'âme de ces bâtisseurs, hommes des montagnes dans leur vie simple et besogneuse qui, s'ils construisaient pour l'éternité, ne se posaient pas de question sur qui les déchiffrerait un jour ?


Secteur Cortal del Bosc

Il fallait les construire, ces murs,  un point c'est tout. Ils étaient nécessaire et ils devaient durer.

Et ils perdurent.


Secteur Salètes

Ceux qui les ont ravaudés, dix ans, vingt ans, cent ans après, ne se sont pas davantage posé de questions. Il fallait réparer, prolonger ou rectifier.

Les fêlures, les fractures, les ravaudages


Ceux qui les croisent sur leur chemin, en randonnant, ne se posent pas davantage de questions.

Suis-je donc la seule ? Certes pas, des passionnés comme moi, il y en a des tas.

A côté de la Rotja, Py. Les gros rocs n'étaient pas montés à bout de bras
 mais descendus du haut de la parcelle (je le suppose).


Je sais un peu comment on construit un mur alors j'apprécie, la forme, la taille, le sens, l'agencement, des pierres. Le départ qui fut parfois un énorme roc posé là il y a des millions d'années et autour duquel s'imposa la construction.


Secteur Clot d'En Vila


Secteur Cortal de Calvet


Je sais la récolte des pierres sur site ou bien loin, et le choix que cela suppose : le regard d'abord qui choisit tel caillou, sa forme, puis la taille, ou le poids, ou la couleur, on le choisit, on le ramasse, on le scrute, on le palpe, on le voit déjà dans la construction et on l'engrange, et on en cherche d'autres, se mariant avec.


Le choix des matériaux


 Il y a ceux qui seront d'angle, ceux qui seront des pièces maîtresses, ceux qui caleront les autres ou boucheront des trous; il y a ceux qui peuvent servir et ceux qui ne serviront pas, qui resteront en rade et pour qui on aura (ou pas) un peu de compassion.

Secteur Brandaïres, près de la Rotja

                                                                                   

Secteur Cobertorat



Ici on a uni les efforts pour  ces grosses pierres

Au fur et à mesure que s'élabore l'ouvrage, le choix va se préciser, tel sera triangulaire, un autre en losange, un autre qu'on cherchera éperdument parce que sinon l'ouvrage ne nous obéira pas...Et puis il y a l'usage, mur de soutien, mur de cortal, murette de terrasse, pavage de chemin muletier , passage d'un canal, je n'ai pas construit tout cela mais par la pensée, je touche, je palpe, j'assemble, j'évalue, au fur et à mesure de mes rencontres. Les bords de rivière fournissent tels rocs et tels murs, les hauteurs tels autres; je sais ce travail de débusquage, je sais le roc qu'on va extirper du sol avec pioche et barre à mine.

Mur d'angle secteur Cortals del Bosc


Cortal, Bac dels Brandaires


Mur d'angle secteur Cortals Llopet


Porte, secteur Cortal del Bosc


Dessus de porte
Angle


Et petite fenêtre style meurtrière



Cabane au toit enherbé secteur Bareu (IGN)


Cabane secteur Endorneu


Toit de cabane (Cortals del Bosc)



Escaliers

Je vois ces hommes travaillant seuls ou s'unissant pour élever un colosse trop lourd. Je les vois, tout en marchant, avec leurs pantalons de velours côtelé et leur chemise à carreaux aux manches retroussées, la "faixa" de flanelle enveloppant un dos douloureux, le béret sur le crâne et la cigarette collée aux commissures. J'entends leurs efforts rauques et c'est comme un film qui se superpose à ma longue et sereine marche dans un paysage figé comme pour l'éternité.



Col de Botifarra

Je les vois construisant cabanes, cortals, canaux et chemins dans des paysages somptueux ou dans des vallées glacées, en pleine lumière ou dans l'ombre, ils croisent mon chemin, invisibles et pourtant si présents.


Depuis le Serrat de las Llenyas


Col de Botifarra


Col de Botifarra



Un canal suspendu en falaise (Ravin de Bareu)


Canal suspendu (Rotja)


Canal suspendu en falaise  (Bareu)


Chemin muletier secteur Cantapoc


Calade : secteur Endorneu


Calade en virage



Même chose


Passage d'un canal sur le chemin (Endorneu)

Je ne suis jamais seule dans mes hors sentiers déserts et dans les ruines que je visite avec respect. "Ils" peuplent la montagne, enfin son ancien visage. J'ai cette chance, comme le ferait un peintre, de recréer le décor.


Enfin, après cette animation, ce bruit et les sons graves ou aigus des outils dont ils se servent, je reviens, lasse, riche, éreintée sur des sentiers bordés de murs qui ont enfin repris leur âge, leur silence, leur solitude et leur destinée vouée aux intempéries, aux animaux qui dévalent vers la rivière, à une mort lente, très lente, bien loin dans le temps.


Les affres du temps


Vous qui passez sans les voir, si un jour vous croisez mes lignes et ces murs, offrez leur votre regard, c'est un hommage discret à ces modestes bâtisseurs disparus depuis si longtemps. Ils le valent bien.


Ce pourrait être eux
(Coll privée Guy Vila)






samedi 29 avril 2023

Le quignon voyageur

 Un très cher ami s'offusqua récemment de me voir, en montagne, sortir de ma besace un quignon de pain accompagnant mon frugal repas. Un quignon ! Pensez donc...

Telle la Madeleine de Proust ce quignon lui rappela je ne sais quel épisode exhumé de l'enfance sauf qu'au lieu d'avoir les délices de la Madeleine, cette exhumation se vêtait de relents acides, voire dégoûtants venus de souvenirs affligés de l'enfance.

Alors s'ensuivit un dialogue de sourds, lui, voulant à tout prix me faire manger de la baguette toute fraîche et neuve, et moi, mon quignon tout aussi savoureux de pain noir. Je sauvai de justesse mon quignon de la noyade dans la rivière toute proche, l'enfouis dans ma besace pour un usage ultérieur et sacrifiai au rituel de la baguette fraîche, laquelle, rompue avec les doigts ne ressemblait à rien d'autre qu'à un quignon...oui mais c'était son quignon dont tout le reste s'épanouissait en baguette amputée dans le coffre de la voiture !

Nous en restâmes là mais le quignon revint fréquemment dans nos conversations et j'entendis avec stupéfaction cette phrase superbe : "si encore cela avait été une tranche". Ah...rompre le pain en mode quignon est plus .....ou moins..., enfin pire !  que trancher le pain au couteau ? 

Je suis paysanne de coeur, de corps et d'esprit, j'eusse pu être bergère de la même manière et que je sache, le quignon était indissociable de leur besace.

Le quignon a pour moi le goût du savoureux "lothentique" de Pagnol !

Bon nous n'allons pas ergoter. Le quignon s'accompagne en général d'une charcuterie, d'un morceau de fromage comme il s'accompagna longtemps de thon à la tomate : en montagne je me nourris, je ne fais pas de la gastronomie. Pas de vin en montagne;  par contre, au bivouac, le quignon ne saurait se passer de ce breuvage régénérant qui fête avec le pain de nobles épousailles.

Parfois c'est vrai quelques tranches peuvent donner à mon menu un air de fête, c'est le cas si je fête Noël dans mon fourgon, le vin s'habille alors de bulles, toujours dans le cadre de leurs épousailles on ne peut unir une robe des villes et une robe des champs.

Alors en quelques images, voici l'histoire des quignons voyageurs sans qui ma vie ne serait plus ma vie et moi...je ne serais plus moi…Et pourquoi pas ? le pain ne serait plus le pain !

Et nos rires autour de ce quignon ne sont pas prêts à s'éteindre car si des raisins purent devenir de la colère, le quignon lui participe à nos fous rires : d'où mon clin d'oeil moqueur.


Quignon au sommet du Canigou




Quignon au sommet du Pic de Camporeils

Quignon contemplant l' Etang Faury (Secteur Lanoux)



Quignon aux sports d'hiver !

Quignon aux abris dans un mini orri style congélateur d'altitude (Gallinas)

Quignon aux abris en hiver à La Vignole



Et quignon au soleil après une virée au Cambre d' Ase en neige




Quignon au bivouac, Ariège



A chacune son quignon

Ce n'est pas fin prêt !

Quignon en pays de Sault (Ste Colombe sur Guette)



Le quignon ne fait pas bon ménage avec l'eau fut elle sémillante



L'eau du ciel suffit au quignon. Ariège

Tiens v'la du boudin ! 
Et pas de quignon ? Bien sûr que non, des tranches :  on est au Refuge du Rulhe, Ariège


C'est Noël, le quignon s'est fait trancher !




On change l'eau en vin

et le soleil en nectar







Allez mon grand, je te promets une grande surprise à la prochaine sortie. On va rire . Jusqu'à l'ivresse...



A celui qui se reconnaîtra ..: Tu ne "rousegues" pas de quignon mais "ets un mal quignol !"