J'ai toujours aimé rouler de nuit, voici longtemps que je ne l'avais fait. Ce soir là, un contretemps heureux modifie mes projets et c'est à la noire nuit que j'entame les 75 km de routes sinueuses pour ce bout du monde à 1550 m d'altitude, au fin fond du Conflent. Mantet, un bout de monde où je me sens si bien...
Tout commence au milieu des vignes, puis des villages à traverser, quelques lignes droites au coeur des vergers...me voilà à Villefranche de Conflent, bourg fortifié mais non illuminé en cette saison automnale. Enfin, à 52 km de chez moi, débutent les 23 km enchanteurs.
Dans les vignes |
Villefranche de Conflent |
Parce que j'aime cette route de jour, mais la nuit en ôte les lointains, il ne reste plus que le paysage immédiat, créé par le pinceau lumineux des phares, un nouveau paysage, un nouveau regard.
Les lointains, la nuit, n'existent plus, et que l'on connaisse ou non la route, elle est une nouveauté.
Tout change, les reliefs, les couleurs, les lumières.
Il y a le mystère de tout ce qu'on ne voit pas, le mystère de la nuit, mais aussi le regard que l'on ouvre grand, pupilles dilatées et sens aux aguets. On se sent plus vivant qu'en plein jour.
On espère et redoute l'animal qui risque de surgir brutalement, on espère toutefois cet animal, son pelage brillant dans la lumière, son regard étincelant...rien ne se passera sauf le lourd envol d'un oiseau de nuit, ailes déployées brassant la nuit de son vol lourd.
D'abord, c'est Fuilla, celui du bas, du milieu et celui d'en haut, souvenirs d'un soir proche de Noël, d'une nuit près du clocher, souvenirs du couvre feu, de cette liberté née de la transgression de la règle.
Ensuite Sahorre, un soir d'hiver, une nuit à Thorrent et un réveil glacé, saupoudré de neige.
La route fonce dans le noir, je la sais longue, sinueuse, étroite, le long de la Rotja bondissante, mais je ne vois rien. Que des parapets sinueux comme de gros serpents endormis, des falaises abruptes dont le sommet se perd dans la nuit, un ruban d'asphalte étroit, un périmètre rétréci au possible. Et ma joie...ma sérénité...
Pas de parfums, le froid de la nuit pénètre par la vitre ouverte, le chauffage modère ce froid. La musique, la solitude heureuse.
Les animaux aiment aussi la nuit, je conduis prudemment.
Dans la lueur dorée surgit le vieux camion de Py, gardien immobile du premier virage, avec son énigmatique sourire figé.
Py, souvenirs nocturnes aussi avant une belle et sauvage randonnée de printemps. Le temps passe si vite...
La route de Mantet date des années 60, désenclavant enfin ce bout du monde. Elle a la nuit un aspect encore plus sauvage, tourmenté et magique à la fois. Je crois la voir pour la première fois tant elle est surprenante dans la lueur des phares.
De grandes congères blanches comme neige bordent le ruban noir , ce sont les veines de marbre blanc, jamais aussi blanc que dans la nuit.
Des lumières vibrent dans la nuit, ruban blanc, ruban rouge, elles parlent de piquets à neige, elles évoquent des hivers couverts d'un épais manteau blanc.
Le paysage est rétréci, il semble neuf; les feuillages encore verts, offrent des détails ciselés, alors que de jour ils ne sont que masses de couleurs imprécises, les troncs blancs des bouleaux, striés de noir à la façon de grimaces, tout est nouveau et surprenant si on veut bien l'observer.
Bouleaux et dentelles |
Les falaises semblent avoir été recréées sous le pinceau d'un artiste. Elles se colorent, striées de veines plus pâles, elles se parent de scintillements.
Des drapés, des plissés, habillés de couleurs |
Des inclusions en font des draperies, des plissés mouchetés. Il semble que peintres et sculpteurs aient remodelé le paysage dans le pinceau de mes phares. Je suis subjuguée. Je roule lentement, fais des arrêts, descends pour scruter et caresser la roche, dans un silence et un froid glaçant, admirant textures, formes et brillances de gros yeux de micas. Brillant comme les étoiles du ciel sans lune.
Mica |
Mica |
Stries de mica |
Des papillons viennent à ma rencontre, semblables à des flocons de neige.
Pas un oeil ne brille dans la nuit, pas un animal ne foule le tapis ondulant d'asphalte, qui en plein jour est sans relief, plat et morne.
1760 m, je passe le col de Mantet et plonge vers le village dont je vois luire les lumières, 200 m en contrebas.
Mais le brouillard m'absorbe, en volutes mobiles alors que les phares le transpercent comme deux épées. C'est dans un flou artistique que je parviens à Mantet.
Un ciel immensément étoilé coiffe la nappe de brouillard qui monte, pâle et lumineuse, depuis la rivière qui gronde en bouillonnant tout en bas.
Jamais je n'ai mis autant de temps pour parvenir à Mantet, pourtant ce ne fut pas un voyage au bout de la nuit, ce fut un voyage dans le voyage . Il n'est que 22 h 30, une belle rando m'attend demain.
waouh ! d'un simple trajet en auto, tu nous fais une subtile aventure dans laquelle on s'insère car on en connait le décor. Encore du grand Amedine. Merci
RépondreSupprimerMerci Guy, tu faisais partie un peu du voyage car je savais que si tu le lisais, il éveillerait en toi des réminiscences. Bises
SupprimerUn décor nocturne magnifique, bravo ! Je frémissais en te lisant car je ne serais jamais montée à Mantet seule et de nuit trop "aspourouque". Pourtant tout est magique la nuit, merci pour ces photos et ce récit de voyage presque au bout du monde.
RépondreSupprimerJ'adore conduire la nuit, je m'y régale, tout devient paysage, même une herbe qui frémit ! Mais si tu le ferais..on s'habitue à tout. Tu as un bon chauffeur, alors tu n'en as pas la nécessité. Bises
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