La vieille dame boit de la tisane. Tous les jours ; 365
jours par an et un jour de plus tous les quatre ans. Ceci plusieurs fois par
jour , et la nuit aussi. Donc il en faut de la tisane !
Mais pas n’importe laquelle, la trilogie tisanière se nomme
verveine, aubépine et tilleul, auxquels se joint la camomille, ce qui a son
importance pour la suite de l’histoire.
Car la vieille dame n’a aucune fantaisie.
Elle n’a jamais,
dans sa vie de presque nonagénaire, mis la moindre fantaisie dans son quotidien, ni dans la nourriture , ce qui va de soi,
puisque la nourriture signifie aussi appétit de vie. Les mêmes gruyère, comté, boule de rouge sous plastique,
les mêmes carrés de poisson panné, et j’en passe, jalonnent ses jours ;
pas ses nuits pour ceux-ci.
Des décennies d’habitudes qui ne se rompent que lorsque le
produit ou la marque quittent la vie. Il en fut ainsi de la boule de rouge sans
saveur, sans odeur, juste avec couleur. Remplacée aussitôt par autre chose d’un peu moins coloré et tout aussi
insipide.
Mais revenons à la tisane
La trilogie végétale a une qualité, elle
provient de la nature et non pas de sachets, hormis la camomille qui devient
introuvable dans les rayons . A l’heure où les gens mélangent les saveurs et
aiment les produits goûteux, la vieille dame sacrifie le goût des sachets – et leurs
vertus- aux vraies saveurs et bienfaits,
ceux de la Nature. Ce qui est tout à son honneur!
Mais il faut récolter ces bienfaits : et à qui revient
ce fastidieux travail ? A la dame un peu moins âgée.
Alors, lorsque commence la courte saison de l’aubépine, c’est
à la dame moins âgée de courir la campagne armée d’un seau et sécateur à la
rencontre de ce végétal qu’elle abhorre.
L’aubépine ne l’avais jamais dérangée tant qu’elle n’avait du y fourrer
mains et doigts. Parce que l’aubépine ça pique ! Et très fort même. Alors
cela devient du sport. Il faut trouver le bon arbrisseau, le bon rameau, les bons
boutons. Car il ne faut pas de fleurs épanouies, il faut juste les bons
boutons, point trop petits cependant.
La dame vieillissante connait tous les talus, tous les buissons, les
précoces et les tardifs, ceux qu’il faut éviter, ceux qu’il faut surveiller.
Avec aversion, elle promène ses seau, sécateur et doigts en colère pour
récolter la floraison adéquate. Une course contre la montre s’engage. Tous les
jours la petite quantité que la Vieille Dame pourra dépiauter de ses doigts
crochus et douloureux. Car pour une année il en faut ! Un seau ne donne qu’un tout petit bol de bourgeons séchés.
Ajoutez à cela qu’il ne les faut point humides. Alors en ces
jours de pluie sans discontinuer, l’aubépine fleurit, moisit, se fane et la Vieille Dame n’a pas ses rations. Et la dame vieillissante se demande vers
quelle Haute Vallée du Département voisin ou vers quels Causses devra t’elle
prendre la longue route pour pallier les carences de Dame Météo. Car la Vieille Dame ne renoncera pas à l’aubépine annuelle. Avec son défunt époux ils allaient
la chercher très loin jadis…
Si l’aubépine était seule…mais non s’y ajoute la verveine !
image web |
La dame vieillissante avait pris ses précautions et trois pieds de verveine ,
dans de lointains jardins assuraient l’odorante production annuelle . Hélas, la
sécheresse et le manque d’eau cette année mirent à mal la production. Un voisin
bienveillant pallia cette carence mais la Vieille Dame a vu s’épuiser sa
provision et assena à la dame vieillissante, seule en cause un « Tant
pis, je bois de l’eau chaude ! », aussi irritant que pincé qui mit
aussitôt en branle la quête en magasins pour trouver LA verveine défaillante.
Dans ce carré de fleurs se trouve la verveine |
Cependant le goût des autres a changé et les autres aiment bien les saveurs
mélangées que ce fut tisane ou thé, des cocktails en somme. Alors c’est la
course pour les sachets de verveine. Et la récolte est si loin encore. Car cette
année la dame vieillissante en a planté un pied
en son jardin, un tout petit pied et la Vieille Dame est quasi
nonagénaire, ne l’oublions pas ! Toutefois les pieds existants seront
abreuvés au cours de l’été à coups de jerrycans…du travail en perspective !!
Peu importe à la Vieille Dame. La dame vieillissante est là pour ça !
A gauche du laurier rose, la verveine (mon jardin) |
S’il ne s’agissait que de verveine et d’aubépine mais la
trilogie se termine avec le clou du spectacle : le tilleul !
Qui se doit lui aussi d'être récolté au bon moment, juste en boutons n'est ce pas, donc qu'il faut aller surveiller régulièrement, ce qui en soi est déjà une épreuve vu sa situation pour le moins rocambolesque, enfin difficile , en un de ces bout du monde dont nos anciens raffolaient!
En descendant à la rivière (tilleul en bas à droite) |
La Vieille Dame possède un tilleul mais le bougre fut planté il y a fort longtemps auprès d’une rivière, au pied de la montagne . On y accède au terme d’un sentier
fort pentu , à pied évidemment, lourdement chargé d’une double échelle.
La partie émergée de l'arbre; le reste est en contrebas dans la rivière |
Photo 2013; depuis l'arbre a grandi et l'échelle aussi |
Une
fois sur place il faut déplier l’engin, assurer sa stabilité, grimper au plus haut,
s’étirer de tous ses membres pour
réussir l’exploit de « faire venir » quelques branches qu’on
ne peut que sectionner pour récolter. Et que l’obligatoire accompagnant assure
en tenant fermement l’échelle. L’arbre est devenu un géant cherchant la lueur
du ciel très haut comme dans la jungle.
Quand la récolte est au sol, on en fait un fagot qu’on remonte au long
du sentier comme ces femmes péruviennes,
le dos ployé sous le faix enveloppant quoique léger. L’accompagnant lui, remonte l’échelle devenue
soudain lourde et encombrante dans la rude montée. Une seule cueillette doit assurer la récolte
annuelle que les doigts crochus…n’est ce pas….
L’an passé la récolte fut impossible, les branches devenues
inaccessibles. Qu’importe !
La Vieille Dame asséna à la dame vieillissante un superbe et sans appel; "A plus de 80 ans mon mari montait dans l'arbre! »
qui avait valeur d’ordre. La dame vieillissante essaya cette voie d’escalade
côtée "6 a" pour le moins, sans succès devant un tronc démesuré et lisse, malgré
la corde d’escalade qu’elle avait emmenée. Au cas où elle eut réussi à escalader
le tronc, il eut fallu ensuite, par une progression latérale gagner le bout des
branches, essayer d’une main d’attirer les rameaux et de l’autre sectionner,
sans assurage sinon la quasi assurance de la chute dans le vide sur les rochers d’en
bas, à moins que baudrier, mousquetons et casque…Non la dame refusa tout net ,
gardant son énergie pour les rochers de montagne. Ainsi depuis un an tantôt, la
course aux sachets est engagée et difficile devant les tilleul/menthe et autres
tilleul/citron… Dans moins de 2 mois ce sera la nouvelle saison du tilleul…La
dame vieillissante au cours de ses pérégrinations a traqué tous les tilleuls
sauvages de moyenne montagne qui ont les mêmes qualités, démesurés et récoltés
jusqu’à hauteur de plafond : inaccessibles vous l’avez compris. Une
solution sera, nous n’en doutons pas, trouvée par la dame âgée macgyvérisée
pour la circonstance. A moins que l'arbre, compatissant, ait refait quelques branches accessibles...
La camomille ? me direz vous ? Ah la camomille qui
simplifie la vie car celle-ci provient des
sachets du supermarché. Oui mais…depuis un temps elle a déserté les
gondoles, la camomille…Alors quelques fouilles archéologiques en autres magasins
arrivent à satisfaire encore les exigences de la vieille dame…
Image web |
Vous avez compris qui sont les deux protagonistes de
cet exutoire récit, n’est ce pas….
Point n’est donc besoin de les nommer…
Je ne vous souhaite pas un jour les remplacer...
A Josy CM…
Bien sûr que j'ai connu çà. Dans tous les jardins il y avait un coin pour ces herbes et fleurs médicales et en fond de jardin l inévitable tilleul .on ne connaissait ces sachets là
RépondreSupprimerOui mais la corvée de ramassage...hihi..et l'exigence de l'âge dit 4 eme ...qui complique tout : tu y as échappé ?
SupprimerJ’ai bien compris Amédine ! J’ai identifié les 2 protagonistes dès le début de l’histoire... Pour ma part, j’ai échappé à ça...
RépondreSupprimerQuelle exigence ! Heureusement l’escalade ne te fait pas peur... plein d’humour ton récit, j’ai bien rigolé... belles photos, bises Amédine. Nous avons les chicoufs....
Aïe les chicoufs...J'ai ramené une brassée d'aubépine j'ai eu droit au langage canidé. Réciproque. Il y avait les jeux. pas grave, les personnes âgées vivent dans un monde qui n'est plus le nôtre, on doit bien l'admettre. Elle était contente quand même de sa provision. L'humour sauve on le sait bien...Bisous Bonne navigation, pas en mer mais entre générations
Supprimerune très jolie histoire, en dépit du reste, finalement mes enfants seront soulager de savoir que je ne prends que de la tisane en sachet des rayons des centres commerciaux ;) Christelle L
RépondreSupprimerAh oui, et moi j'en bois peu, je préfère (pour l'instant) un bon vin ! ça fait dormir aussi non ? Bisous
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