vendredi 20 juin 2014

La vieillesse...

Je viens vous voir, parfois, dans ce petit appartement où vous êtes seule maintenant.
J'y viens depuis si longtemps.
J'étais une toute jeune fille. Il y a ...il y a combien ? Plus de quarante ans déjà.

Vous étiez alors une jeune femme encore, altière, belle, souriante parfois, je me souviens...
Un petit appartement tout neuf. Peinture fraîche, vieux meubles dépareillés.




Le temps a passé...Années lumière, années poussière...
Je vous retrouve, toujours là.
Le petit appartement n'a pas changé. Si : les rideaux, le frigo, la télé, remplacés et immuables, assignés à résidence à la même place.
La table, peut être, identique mais pas la même.
Les toiles cirées se sont succédé au fil des ans, bariolées, évoquant en mes souvenirs des arbres, des objets culinaires, des paysages, des animaux, que sais-je?

On n'y prête guère attention et un jour, cela devient vide, lacune, absence.
Rien n'a changé : un objet est mort, un autre a pris sa place. Discrètement.
Personne n'a pris votre place. Le temps vous a usée, le temps ne vous a pas changée. Les cheveux ont blanchi, le visage s'est ridé, le sourire s'en est allé.
Le corps s'est amenuisé, tassé, effrité.
Ce qui me manque, en vous, c'est le sourire.
Jamais vous ne me souriez. Je vous parle, je vous ennuie.
J'ai envie de vous parler et vous n'avez aucune envie de m'entendre.
Je m'obstine, je vous ennuie, je sais que je vous ennuie, je vois que je vous ennuie et malgré tout je m'obstine.
Je m'en veux, je vous en veux, mais c'est plus fort que moi.
Vous vivez seule à présent...
  Moi aussi je vis seule.
Mon présent n'est pas le vôtre.
Un présent de vous -un cadeau, veux je dire - serait un sourire, une parole, une porte ouverte...
Je ne sais pas si vous m'aimez, je ne l'ai jamais su.
Ni si vous ne m'aimez pas... Je ne le saurai jamais...


Je voudrais vous demander, je ne le peux pas.
Je voudrais savoir, je n'ose pas.
Je voudrais vous dire, les mots ne sortent pas.
Je vous parle de tout. Sauf de l'essentiel.
Et quand je vous quitte, il me manque l'essentiel.
Vous êtes seule à présent et ni moi, ni les autres ne pouvons rien à cela, ne comblons en rien ce manque, cette absence.
Vous êtes infirme et nous sommes impuissants.
Je le ressens d'autant plus que je suis seule; les autres, ceux qui viennent, ils ont leur vie, partagée avec leurs proches.
Moi, je suis seule, vous êtes ma plus proche, la plus lointaine de tous.
Souvent, quand je suis là, vous me chassez, à votre manière, me renvoyant à mes devoirs, ou à mon travail, loin de vous.
Je pars sans un mot, blessée.
Ou alors, vous me tolérez, à quel prix!
 La télévision meuble votre solitude.Vous ne coupez pas le son : c'est important, bien plus que moi, pensez donc! Ce sont les jeux!
Pour vous disculper, car tout de même  vous en êtes consciente, vous dites : " Aujourd'hui, il joue pour 40 mille euros"
Euros qui ne vous font pas rêver, vous qui n'avez envie de rien.
Ou bien "c'est sa cinquième victoire..." !
Mais qui justifient, vu la somme, ou l'enjeu, l'attention que vous leur prêtez.





Le slam, les millions à gagner, les questions pour un champion, que sais je ? Je m'en désintéresse. Je n'y connais rien; c'est vous qui m'intéressez.
Vous qui me signifiez poliment et joliment  que je ne vous intéresse pas.
Pis, que que je vous dérange!
Si la télévision est éteinte, j'ai un espoir.
Insensé, immense, dérisoire, grotesque.
Votre regard encore vif interroge la comtoise, à intervalles, objet implacable qui va décider " voyons, qu'est ce qu'ils vont faire aujourd'hui ? Gagner? Rejouer ?"
Et votre main crochue mais preste va appuyer sur le bouton qui animera l'écran, avec un présentateur au sourire éblouissant, des candidats qui... qui par là même me réduiront au silence.
Si je m'obstine à raconter quelque chose, vous coupez le son, essayant de deviner, malgré tout, votre regard traversant mes mots sans les entendre.
Alors, vaincue, je me lève et je m'en vais, tournant le dos à votre soulagement.


Parfois, excédée, vous m'intimez l'ordre de me taire.
Selon l'heure. Quand les jeux ne peuvent jouer les médiateurs entre vous et moi.
Quand rien ne vous sert d'intermédiaire salvateur.
C'est là où vous pouvez devenir tranchante, blessante, humiliante.


C'est là que je peux entrevoir, à travers votre vieillesse, celle, solitaire qui m'attend...










20 commentaires:

  1. Vieillir.... c'est le lot hélas de tous, mais cela permet il d'être aussi dure et aussi lointaine vis à vis de toi, toi,qui fait tant pour cet être si proche en ton COEUR... non ce n'est pas juste car la solitude et la vieillesse n'excusent pas tout! Toi, tu es seule aussi mais tu es un être adorable qu'il est impossible de blesser, tu es l'amie récente mais si importante à qui nous tentons de donner douceur et affection. Tu aimes ta solitude et ta liberté, mais malgré le programme de notre vie, nous serons toujours là! !!!! Très affectueusement. Bisous.
    Ton billet était cependant très beau et la nuit à venir va me laisser penser, penser.....

    RépondreSupprimer
  2. Oui, la vieillesse est parfois, souvent cela.Un détachement du réel; pas forcément une indifférence, mais une mise à distance. Pour se protéger ? Parcequ'on en a trop vu et que le coupe est pleine? On prend parfois pour de l'indifférence cette façon de se réfugier dans un virtuel. mais j'observe les vieux et combien souffrent de cette même chose venant de leurs enfants, ou petits enfants, les uns englués dans la vie moderne et les autres engoncés dans le virtuel. Alors tout n'est qu'histoire de solitude. Seuls avant que d'être vieux. Bon, France ne gâchons pas notre WE avec de la mélancolie : ainsi va la vie ! Bisous. On reparlera de choses plus gaies, avec un prochain billet

    RépondreSupprimer
  3. La vieillesse me fait très peur. Je sais que je serai comme tout le monde, que je n'y couperai pas ....
    J'arrive à espérer ne pas être consciente de la réalité lorsque celle-ci se pointera et s'encrera irrémédiablement en moi.
    Je serai probablement seule ... Je m'enfermerai dans mes pensées lointaines, réelles ou non.
    Allez ! On en reparle dans .... X temps ?
    Bisous

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Coucou, moi aussi, la vieillesse qui se rapproche à grands pas ( avant la tienne) me fait peur si j'y pense pour le frein mis à ma vie trépidante. ce qui m'angoisse c'est de devenir "comme ça" c'est à dire avec ces comportements surprenants.Mon frère à qui j'en parle me dit "mais oui, on deviendra comme ça!" En fait l'altération du corps je m'y résigne mais pas à celle de l'esprit ou du comportement alors que finalement elle est inéluctable aussi, semble t'il. On pourrait disserter des heures, non ? Bisous

      Supprimer
  4. Peu importe si cette vieille dame que tu évoques est réelle ou pas, ou si cette évocation te permet de te poser des questions sur la vieillesse; si "l'ordre des choses" est respectée je serai moi aussi une vieille dame seule mais j'espère garder en mémoire tout ce que je ne voudrais pas devenir et faire en sorte d'éviter le pire (ce qui me semble le pire) - mais pour cela il faut que la raison soit préservée et voilà la dimension inconnue et effrayante!
    A bientôt
    Nicole

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, exactement, que la raison nous habite encore et nous pourrons peut être rectifier le tir en pensant à notre vécu et aux douleurs qu'il a générées. je voudrais...mais y arriverai je ? a voir déjà les choses qui m'échappent j'ai des doutes. Bisous

      Supprimer
  5. Tout le monde ne vieillit pas de la même façon je pense. Mes parents qui approchent les 90 ans ne sont pas comme la Dame que tu décris (ils ont d'autres défauts remarque :-) ) C'est vrai qu'ils sont toujours ensemble, et que nous, leurs enfants, nous en occupons beaucoup. Quant aux "dégâts" de la tv... tu sais, il m'arrive d'aller chez des amis qui sont loin d'être des personnes âgées, et cette maudite tv reste allumée tout le temps, focalisant l'attention, parasitant les conversations et les bons moments. Et dans combien de foyers est-ce ainsi ? Une amie récemment divorcée m'a dit que la télé avait joué un rôle dans sa séparation d'avec son mari (pas totalement mais quand même... ). On ne sait pas ce qui nous attend, mais tentons de garder l'esprit toujours en éveil.
    Bisous.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. la TV est terrible. Je conçois qu'elle meuble le silence de la solitude mais je fuis si elle reste allumée quand je suis en visite.
      J'abrège, du moins. on se sent évincé, de trop, inutile. Si je garde mon esprit, elle ne dérangera en rien mes visiteurs. mais je pense que je n'aurai ni visiteurs ni TV allumée !!! Bisous
      Pourquoi pas de visiteurs ? qui vient voir les vieux ? les enfants...je n'en ai pas

      Supprimer
    2. Avoir des enfants n'est pas synonyme de vieillesse comblée je pense. Enfin, pas toujours. Il me semble qu'il vaut mieux compter sur soi-même. Sur sa capacité à continuer à s'émerveiller de tout, de la Nature, du Monde. La radio, la lecture, l'écriture, le jardin (tant qu'on peut) ,l'amitié... sont peut-être quelques-uns des chemins.
      La Dame de ton billet n'a peut-être pas cette capacité. Elle a de la visite, et seule compte les jeux télévisés (mais après tout, si c'est ce qui la rend "heureuse"). Je ne pense pas que tu deviennes ainsi.
      Mais bien sûr, pour l'instant, l'important est de profiter à fond du présent !
      Belle journée :-)

      Supprimer
    3. La Dame de mon billet a beaucoup changé, quasi brutalement il y a un certain nombre d'années, j'ai assimilé cela à une sorte de dépression. ce fut une femme très active, elle ne peut plus (handicap) mais fait encore tout son possible et c'est quelqu'un de très cultivé, qui lit, écrit. La vie l'a blessée comme à tous les vieux dont le parcours est jalonné de deuils...Bisous

      Supprimer
  6. pfff quelle émotion à travers ce texte il reflète bien ce que tu vis et je ne pensais pas que ce fut ainsi ça m'en donne la chair de poule!!!
    Les personnes agées on ne comprend pas toujours leur comportement cela doit être normal ce genre de réaction mis à part Mamie Yvonne qui a gardé cette force jusqu'à la fin et qui malheureusement est partie beaucoup trop vite........ bisous Amédine et bravo pour tout ce que tu nous donnes, d'ailleurs excellent ton billet avec ces belles vaches qui m'impressionnent au plus haut point. Pascale

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je crois que l'âge induit une certaine indifférence, du détachement, que l'on comprend, que l'on accepte mais qui fait mal quand on en fait les frais. Ou qu'on est incapable de se dire "je m'en fiche, ce n'est pas mon problème".
      Bisous Pascale; je n'ai pas vu tes boules de poils mais je leur ai mis à l'ombre d'un cep une bassine d'eau propre, ils aiment boire au jardin!!!

      Supprimer
  7. Bonjour Lison ;)
    Je suis très remuée par votre texte ... qui évoque, effleure, tout en finesse et non dit, tant de solitude, de souffrance mais aussi d'amour ...
    Magnifique malgré tout ...
    Merci pour ce touchant moment ...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Que vous dire ? vous avez tout compris et résumé...

      Supprimer
  8. Magnifique ce tableau d'une vieillesse qui se coupe de la réalité ! C'est souvent le cas malheureusement ! Souvent les vieux vivent leurs dernières années en dehors du monde mais malgré tout certains racontent des moments de vie et c'est magnifique !!! Je viens d'acheter un magnifique livre à mon atelier de peinture ... un livre illustré des aquarelles de mes amis d'atelier ! Un livre par sa vente destiné à améliorer la vie des personnes agées de la maison de retraite proche ! Les textes sont des anecdotes racontées par les pensionnaires de cette maison de retraite ! Des anecdotes à lire pèle mêle selon nos envies ! Je trouve ça magnifique que ces personnes aient encore envie de raconter ... Voilà ce que m'inspire ton billet ! Très beau récit que tu nous fais là car effectivement "la vieillesse bavarde .... un jour se tait !" et c'est triste !

    RépondreSupprimer
  9. La vieillesse ? Mais à quel âge commence-t-elle ? Certains sont vieux très vite et d'autres beaucoup plus tardivement. Pourquoi ? Tout est question d'abord de santé ..car quand la santé va..tout va. Ensuite cela devient une affaire très personnelle. Vivre en solitaire n'est guère favorable. Il faut tant que faire se peut s'entourer de quelques bons ami(e)s, faire travailler ses méninges et laisser la mauvaise bile aux autres. Quelques activités physiques sont recommandées...rien de tel pour se décrasser l'esprit et le corps....Mais tout cela vous le faites déjà ..alors allons de l'avant..."i maï morirem !!" ....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Evidemment, vu ma vitalité et mon état d'esprit, la mienne est très très loin !!! mais celle des autres est parfois douloureuse à voir et surtout anxiogène. Sempre en davant, Augustin !!!

      Supprimer
  10. ...Très beau, très senti, très " Amandinien"... Merci pour ce partage .

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Sourire à la lecture de votre commentaire...Bises

      Supprimer
  11. Quel beau texte, tout en subtilité. Il me touche beaucoup, j’ai le même ressenti, j’aurais pu l’ecrire si je maniais les mots aussi bien que toi. Tu as su décrire à merveille les visites chez mes parents. Quelle tristesse et quel gâchis, j’ose espérer que ce n’est pas ainsi pour tout le monde. L’envie de rien est terrible tout comme le non dit.
    Merci Amédine surtout en ce moment. Je t’embrasse fort.

    RépondreSupprimer