vendredi 24 janvier 2014

Couleur sépia...

Il y a , face à mon lit, le portrait d'une jeune femme, exhumé des "armoires de la vie", le passé.
Ce portrait sépia, dans son cadre ovale, ne me regarde pas. C'est une beauté, fine et délicate, fragile.
Elle a posé pour le photographe, maquillée légèrement, le port altier, la coiffure impeccable, le regard ailleurs. Ce portrait est une composition artistique. La vêture est simple et élégante, une broche ferme le corsage et un fin collier d'or orne son cou.



Un visage lisse, jeune, un sourire ébauché, à peine, énigmatique déjà. Une belle chevelure brune, bouclée, savamment ordonnée. Non, ce portrait ne fut pas fait sur le vif : une belle composition.
Ce n'est pas une jeune fille, c'est une jeune femme. elle a moins de 24 ans sur cette photo et je ne sais rien d'elle.Seulement un  nom, un prénom, une date qui suggère son âge sur la photo. Il y a longtemps qu'elle a disparu, je ne saurai  rien d'elle. Jamais.
Elle a un prénom composé, ordinaire, qui ne cadre pas avec cette élégance. Je l'appelle Noémie : ce prénom désuet me plait et lui sied.
Elle vivait dans un port, au début du 20 ème siècle, mais je ne l'imagine pas travaillant sur les quais,  ou au remaillage des filets. Ni en train de vendre du poisson avec les cris qui caractérisaient à cette époque les poissonnières et étaient loin de toute discrétion et délicatesse.
Je la vois dans une de ces belles et grandes maisons qui bordent le quai, nanties de belles façades, de grandes et hautes fenêtres aux vitres un peu dépolies, qui reflètent le bleu du ciel et celui de la mer, le soleil levant et les mouettes.
Je l'imagine évoluant avec calme dans de grandes pièces claires au parquet ciré, aux meubles blonds fleurant la cire, se reposant dans de profondes bergères. Elle évolue dans un bruissement d'étoffes et rectifie un ou autre des bouquets colorés posés sur des guéridons. Un piano, de belles robes, des chapeaux, une camériste, peut être....

Je me suis souvent demandé qui était cette jeune femme.
Je l'ai rencontrée un jour de novembre 2006. J'ai croisé son regard dans son cadre ovale. Croisé? Pas vraiment, elle regarde ce que nous ne voyons pas.
Cependant, en ce lumineux jour de novembre, elle m'a dit : "Emmène moi!".
J'ai croisé son image et je suis partie.

Je n'ai pu l'oublier. Elle ne m'avait rien dit d'autre. "Emmène moi!"...Je n'ai plus eu en tête que cette idée : retourner "là bas" et aller la chercher.
Alors, un jour de septembre 2007, lumineux et tiède, j'ai refait la route et je suis allée la chercher. Le ciel était bleu, la mer calme, tiède, douce, soyeuse et feutrée.


J'ai gravi la colline sur laquelle venaient s'enrouler les rumeurs du port et où m'attendait la jeune femme.

Je suis repartie comme une voleuse. Cela ne se fait pas.

Dans le petit cimetière marin qui s'accroche à la colline, des tombes gisent de guingois, des croix élancées tendent leurs bras tourmentés vers le large, et une jolie jeune femme morte à 24 ans continue à reposer pour l'éternité.

















Son image est double, à présent : elle regarde énigmatiquement la mer qui l'a bercée, elle regarde énigmatiquement par delà les murs de ma chambre, vers la fenêtre, vers la montagne.

Moi, je suis bien, dans ma chambre, avec son image face à mon lit et la fourrure douce de mes chats.

Je ne saurai jamais ce qui à 24 ans, en 1927, lui a ravi sa jeune vie.

Elle ne sera jamais qu'un double prénom, une double date, un double nom puisque à ses côtés repose son époux, disparu jeune lui aussi.







Post Scriptum : j'aime les cimetières (les petits de préférence), j'ose le dire et le répéter pour la vie qui est en eux, pour les belles histoires qu'ils me racontent, pour la paix qui en émane, pour...je ne sais ...

7 commentaires:

  1. c'est une histoire mystérieuse, et un hommage à cette personne qui pourrait être encore là aujourd'hui

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    1. je ne sais ce qui m'a attirée vers cette tombe, vers cette image, comme un magnétisme dont je ressens encore les effets; c'est étonnant et j'aimerais en savoir plus. Bon week end Laurence, câlin aux filles

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  2. Bonjour chère Lison!
    Tu as DEUX beaux blogs!
    Merci pour cette histoire très intéressante et j'aime la photo de cette femme!
    Je vais lire ton blog ...
    Passe un bel après-midi Lison!
    Je t' embrasse!

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  3. J aime aussi les cimetiéres. Dans mon village, deux tombes jumelles, deux soeurs agées de dix huit reposent depuis 1967. Un accident de voiture? il faut que j interroge les gens.
    Amicalement Latil

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  4. J'aime beaucoup ce que tu as écris, et on
    a envie de tout connaître sur cette jeune
    femme. Comme toi, lorsque j'ai sous les
    yeux, une photo ancienne, j'imagine,
    j'invente une vie. A un moment donné j'ai
    collectionné ces photos sépia, trouvées
    dans des vide-greniers. J'en ai plusieurs,
    dont des petits enfants. cela m'a toujours
    semblé mystérieux ces images d'il
    y a si longtemps. Tu as choisi là ,un beau
    sujet. Merci Lison. Bises et bonne fin de
    semaine. ELZA

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  5. Coucou Lison,
    Je suis curieuse de nature, alors je viens voir aussi ton 2e blog.
    J'aime l'écriture également, et cette histoire m'a plue. J'ai l'impression de reconnaître le cimetière de Menton, pourtant je n'en connais pas beaucoup.
    ciao, ciao, Béa

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  6. Dans le cimetière d'un village côtier...deux tombes aux petites bordures en fer rouillées. Le sel de la mer en a rongé le métal et même ce que je crois être le nom de ces deux hommes jeunes sans aucun doute, prisonniers de guerre allemands tués lors de déminages mortels...Personne n'a réclamé leur reste...passé qui s'estompe...La tramontane, le ciel bleu, la mer et ses embruns...seule la vie d'un homme ne suit pas le temps éternel...A.S.P

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