lundi 26 février 2024

J'suis la ramasseuse de crottins

 " J'suis le poinçonneur des Lilas" chantait Gainsbourg en 1959, "Je suis la rockeuse de diamants" chantait Catherine Lara 24 ans plus tard, et leurs paroles restèrent pour la postérité. 

"Je suis la ramasseuse de crottins" et je n'entrerai jamais dans la postérité, je n'atteindrai pas ces sommets, logique, je ramasse penchée sur le sol.




Après avoir manié le stylo et la craie durant des décennies, et, tout en même temps, manié l'araire, la bêche et la tronçonneuse ou la sulfateuse, il manquait à mon palmarès la ratissette, la fourche et le dumper. Voilà chose faite pour mon plus grand bonheur.




La fourche



La ratissette





Le dumper


Dès le matin, équipée de vieux habits, je me rends sur mon lieu de travail, j'empoigne mes outils et je vais rejoindre les enclos aux chevaux. Pour leur distribuer la ration d'eau et nettoyer leurs enclos.




Ces chevaux dont j'avais si peur il y a encore peu de jours et qui m'apprivoisent, s'amusent de moi et avec moi, me sourient, me font mille facéties mais...je me méfie ! C'est puissant un cheval et un simple câlin peut vous expédier parmi les étoiles. Se faire marcher sur les pieds procure le même délice que lorsque votre matou pousse un hurlement terrible sous votre pied maladroit.











Ramasseuse de crottins...tout un art...d'abord ouvrir l'enclos : le temps d' y entrer, la machine peut permettre à l'équidé de se faire la belle, alors il faut viser juste le passage, aller vite, être leste, voire pousser délicatement l'animal aventureux avec la machine. 

Un cheval c'est curieux comme un chat, un chat de 400 kg toutefois. Malheur au pull over qui traîne, au smartphone oublié ou au sac posé sur le siège : tout doit être suspendu, ficelé, le plus haut possible, au dessus de l'arceau de préférence. Et encore...la longue encolure, qui peut encore envier la girafe, ne laisse aucun répit. Un outil appuyé à un arbre devient jouet, mais si on se le flanque sur les naseaux, il devient terreur et...il faut éviter la trajectoire du "monstre" lancé à pleine allure, suivi par le congénère qui ne comprend rien mais emboite le galop. On apprend à devenir "axurit" (traduisez malin), au galop aussi !




Dans l'enclos qui n'a de pré que le nom en ces temps de sécheresse sahélienne mon travail peut commencer.

Dans les faits, il consiste à ratisser le sol, paille éventuelle et tas de crottins réunis, d'en faire des monticules que d'un coup de fourche aussi efficace qu'élégant, aussi aérien que maltraitant j'envoie dans le godet du dumper plus haut que moi. 



Avant le nettoyage



Le rateau


Un envol de débris secs, pulvérulents, et là, tout l'art consiste à positionner l'engin en fonction du vent dominant. Non ce travail n'est pas celui d'un idiot exécutant, mais d'un malin se protégeant, surtout lorsque le malin doit protéger au maximum ses yeux fraîchement opérés. Les doubles lunettes entrent en action doublant la transpiration et vous retrouvez le délice des lunettes avec masque anticovid ! Je travaille, malgré ma vue retrouvée, dans un brouillard aqueux qui fait deviner le décor et le plan de travail plus que de le voir.








Mais...délice de l'histoire !...car il y en a des délices:

- D'abord c'est une salle de sport en plein air, il y a autant de coups de ratissette que de coups de fourche pour remplir un godet : 300 ! qui font travailler les muscles en tous genres et resserrer en 15 jours deux crans de ceinture. Je parviens actuellement à emplir 3 godets par jour (petites journées de 3 à 4 h) , qui m'expédient sous la douche, narines et ouïes comprises, et ensuite au lit presque avant les volailles, tant est grande la fatigue...vu mon âge. Avec 30 ans de moins ma nièce fait le double. 

Quant aux cervicales et aux maux de tête afférents, il vaut mieux enrouler autour de sa nuque un bon lainage et choisir la position nocturne à conserver jusqu'au matin.

Ne parlons pas de l'appétit qui, de moineau, se mue en appétit d'ogre !


Même en mars, on n'a pas froid !


-Et puis le contact avec les chevaux qui fait de ce métier silencieux une joie de vivre passant par des regards, des sourires, des petits mots (pour moi), des câlins et apaise tous les maux. J'entrai au centre avec de la douleur à revendre, j'en ressors avec de la douceur à emmagasiner pour longtemps. Et je peux y rester jusqu'à 90 ans si je veux...Déjà pendant que j'écris ces lignes ça me manque...


Parfois j'irais, si je m'écoutais, travailler à la frontale...

- Ensuite, non négligeable, essentiel, même, ce plaisir insensé de ratisser, nettoyer, lisser, un sol où mes souvenirs d'enfance parlent de prairies fleuries de 1 m de haut à pareille époque, voilà 65 ans, bien avant le changement climatique. Pays d'eau, de terre souple, de ruisseaux, de prairies à chevaux ornées de coquelicots, boutons d'or, marguerites, de saveurs d'herbe fauchée à bras, de pieds pataugeant dans l'eau, chants d'oiseaux, bruissement d'insectes et vols de papillons...voilà...c'était ici...Nostalgie..






Aujourd'hui, je ratisse, ramasse, dans un bain de poussière sèche et grise, les chevaux n'ont que du foin et nul insecte, hormis les mouches voraces, ne batifole ici.


Protection contre les mouches


Oui je nettoie, je ratisse, je lisse, je laisse un sol stérile, à l'instar de ma vie que je balaye, ratisse, nettoie, stérilise mais...chaque jour, après mon passage la vie y renaît. Le corps travaille, l'esprit s'envole. La pensée est libre, se développe, se délecte, les idées s'ordonnent, les réflexions s'enchaînent, le cerveau dispose d'un immense bureau en plein air. Un bureau sans cesse nettoyé et sans cesse souillé.





Ratisser peut devenir un art


Ainsi, la ramasseuse de crottins que les cavaliers et leurs accompagnants ne voient pas, ne saluent pas, parce qu'un palefrenier est invisible, un éboueur de bourrins est transparent, et bien cette ramasseuse de crottins connaît un immense bonheur sous le regard de grands yeux coiffés de longs cils et de vastes crinières, sous des sourires silencieux et découvre un monde auquel peu ont accès.









Câlin



Un monde qui m'a donné, après des mois de souffrance muette, l'envie de rire, de courir, de grimper, de retrouver mes chemins secrets de montagne comme mon chemin de vie.



Douceur


                        N'est ce pas l'essentiel ? 




Elodie Mas a une page Facebook avec ses chevaux, âne et poneys, ses activités équestres. Merci ma chère nièce de m'offrir la joie de participer à ta passion. Montesquieu des Albères. 66740




13 commentaires:

  1. Femme épatante que notre Amedine !

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  2. Bravo Amedine pour ce texte amédinien et cette nouvelle activité avec les chevaux..
    J'ai la réponse aux questions que je me posais suite à tes publications un peu mystérieuses.
    Cool tout de même ! ens fem vells ! Mais de temps en temps ça peut être bénéfique. Bizzz

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    1. j'ai pédalé un peu dans le fumier pendant quelques mois, yeux et soucis bien différents, mais là, je fais du nettoyage

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  3. Redeù de redeù Amédine ! Tu m'épateras toujours ! Te voici devenue ramasseuse de tant de porte-bonheurs divers que tu sais si bien exprimer. Tu es encore et toujours dans cette nature qui est ton oxygène, ta passion. Bravo tu as toujours su, j'en suis sûr, faire le bon choix. Vivre parmi les chevaux est un de ceux-là. Quant à ta vue , je n'ai pas eu ces problèmes, mais t'en fais pas ça passera. Bon je me répète notre porte est ouverte. Porte-toi bien...j'adore moi aussi les chevaux mais....ils m'impressionnent ! ASP

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    1. Comme c'est joliment exprimé "ramasseuse de porte bonheurs divers". hihi...Bises et à très bientôt

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  4. tu pratiques l'équithérapie sans le savoir , à toi la découverte de nouvelles sensations , un bouquet de nouveaux parfums et la proximité de porte-bonheurs . Super - l'occitane t'encourage

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    1. J'ai été de suite consciente que je pratiquais cette thérapie là, c'est pourquoi j'ai si vite été bien . Merci

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  5. "

    « Je vois parfois dans le regard d’un cheval la beauté inhumaine d’un monde d’avant le passage des hommes. »
    Bartabas !! Quel beau message ! Profite bien de cette "animale compagnie" pour déceler quelques messages secrets qui te conduiront à une sérénité certaine malgré les courbatures dues aux manutentions harassantes ! Sûr que tu apprécieras "avec des yeux nouveaux" les rencontres avec ces sympathiques équidés lors de tes futures randos, foi d'animal ! :):) Amédine aux mille vies, la tête, les jambes et les bras, une nouvelle série télé à envisager qui passe, assurément, par le travail d'écriture qui te sied si bien !! PDS

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    1. Aux mille vies et autant de survies, c'est si compliqué la vie et souvent si souffrant...les animaux sont un baume vivant et silencieux. Je t'embrasse

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  6. Un magnifique reportage et très belles photos merci bonne soirée bisous

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    1. Merci, bisous aussi, ce fut un plaisir que de rédiger

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  7. Bonsoir Amédine
    Quelle chance tu as d'approcher ces si beaux et bons animaux ! La tâche est rude, oui, sûrement, mais quels instants magiques tu dois passer avec et auprès d'eux ! D'ailleurs, je le lis dans ton article.
    C'est super, je suis contente pour toi. :-)
    Je t'embrasse.

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