vendredi 10 mars 2023

La petite fille et la montagne.

 C'était dans les années 60 du siècle dernier, ces années qui laissèrent un brin de nostalgie à cette génération que l'on nomme aujourd'hui " baby boom". Les sixties. Avec l'éveil d'une fragile libération, les danses, les slows, les musiques langoureuses, le "joue à joue", les permissions parentales savamment grignotées, un pas de géant par rapport à leur maman, pour les adolescentes d'alors.



Il était une petite fille précoce à l'école mais très en retard sur ce chapitre là. La petite fille des années 60 était une écolière sage et studieuse, voulant plaire aux professeurs du petit collège, à ses parents : tout son univers.

Dès qu'elle arrivait du lointain collège avec l'autobus poussif dont elle étudiait avec soin le maniement et la conduite puisque le chauffeur l'avait d'autorité placée au premier rang, la petite fille jetait son habit de fillette sage, et se muait en tornade !

Cartable lancé à la volée, vêtements troqués à la va vite, pas le temps de goûter, elle enfourchait son vélo et filait courir la campagne de nuit, de jour, tous les jours, en toutes saisons, contre le vent ou sous la pluie, avaler des tours de roue et des kilomètres, des routes et des chemins de vigne, de toute la vitesse et la puissance des muscles de ses courtes jambes, le temps de se "laver" de l'enfermement qu'était l'école. Sans éclairage, ses yeux de chat connaissaient chaque ornière, chaque caillou, chaque obstacle. Elle revenait ivre de froid, de nuit, de parfums, de vent. Lavée, décrassée.




Elle avait la chance de vivre dans une campagne sage, dans une ferme; ses excentricités passaient quasi inaperçues et sa famille ne s'inquiétait pas, on ne s'inquiétait pas en ce temps là, et respectait ce besoin impérieux d'aller plus vite que le vent.

Ensuite elle réintégrait la ferme aux lumières chiches et au chauffage paresseux. Elle recommencerait le lendemain; et les jours suivants, et en toutes saisons. Infatigable, insatiable. Sa famille savait qu'envers et contre tout elle l'eut fait donc mieux valait l'autoriser.

Plus tard la petite fille devint une adolescente, une jeune fille, qui continua à courir les routes perchée sur son grand vélo, une routière, ce fut LE sport de sa jeunesse.


La vie la cueillit, la modela, l'enveloppa, l'école l'absorba et elle troqua le vélo contre les travaux agricoles, pareillement, le soir, de jour comme de nuit, sous le vent et sous la pluie et rien ne lui est plus beaux souvenirs que ces retours dans la noire nuit, au volant de son tracteur, dans les parfums figés de la campagne glacée. Dans le village on connaissait ses excentricités; elle n'avait fait que changer de lieu, changer de destrier.

La petite fille vivait au pied d'une montagne qu'elle trouvait immense, celle que je commence à explorer aujourd'hui, nommée Albères, en ce fin fond de France, là où la frontière partage cette longue chaîne bleutée et dentelée.




La petite fille n'était pas trop attirée par cette montagne bien qu'elle y fut souvent puisque son père possédait une cerisaie bien lovée à ses pieds dans un creux de vallée où chantait une rivière: les rivières chantaient beaucoup alors, en harmonie avec l'eau du ciel. Dans cette cerisaie, la rivière avait entaillé une profonde saignée où vivaient de gigantesques châtaigniers et où son père avait construit à la pioche un chemin digne des "routes de l'impossible" pour descendre avec son tracteur. Au grand effroi de toute la famille. On aimait les chemins, chemins de terre et chemins d'eau dans cette famille et on savait les construire.


La petite fille, à peine adolescente aimait à regarder cette montagne alors dénudée, habillée simplement de rochers et de murettes, de chemins déjà disparus sous la friche, d'autres chemins encore empruntés par les bergers, qu'on ne saurait plus retrouver à présent. Il se construisait alors les premières routes forestières supplantant ces longs traits sinueux du passé. Un jour, sans rien dire à personne, selon son habitude, (ainsi elle était sûre de ne pas entendre "non!") la petite fille s'en alla arpenter la montagne; ce fut sa première escapade en dehors de la norme. Elle quitta sans doute la ferme à vélo, gravit les quelques kilomètres jusqu'au pied de la montagne et là, à pied, s'aventura, j'imagine en un tout droit à travers bois, taillis, sentiers, rochers, jusqu'au moment où elle le rencontra. Non pas le Prince Charmant, mais un charmant jeune homme qui traçait la route avec son gros bulldozzer jaune aux chenilles grinçantes dans un tintamarre de chevaux échevelés et fumants. Alors l'homme descendit de son engin et demanda à la petite fille ce qu'elle faisait là. Elle le lui expliqua, toute à sa joie, et lui, il lui expliqua à son tour...dangers...mauvaises rencontres...accident...toute une panoplie qui eut pu l'horrifier mais non, elle comptait bien continuer son exploration. Alors, le jeune homme sage fit monter la petite fille non pas sur son énorme bulldozzer jaune mais dans sa minuscule mini cooper et la reconduisit chez elle, expliquant aux parents de ce rebelle specimen que c'était dangereux de courir ainsi les montagnes.



La découverte de la montagne en resta là. Elle ne devait reprendre son cours suspendu que des décennies plus tard. C'est cette fillette là qui promène son enfance rescapée sur les sentiers montagnards, ou en dehors d'eux depuis 17 ans bientôt, et que vous suivez sur ses images et récits.

10 commentaires:

  1. un joli conte. Mais le jeune homme, sait-on ce qu'il est devenu ? et le vélo, il est resté là-bas ?
    Merci Amedine pour cette belle histoire et pour tous les récits inspirés par les Albères ou par leurs grandes soeurs. Un plaisir à chaque fois. GV

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    1. Alors la suite je ne la connais pas; je pense que mon père qui m'adorait (et qui me ressemblait, oui ME ressemblait) m'a emmenée chercher le vélo abandonné et le jeune homme a continué sa route forestière et sa route tout court. Ce n'est pas lui qui a croisé plus tard la route de ma vie de femme. Bises

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  2. C'est toute une histoire vraie, je comprends et la voie pas autrement, merci Amedine, ça me penser à 🐐 de monsieur Seguin

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    1. Vraie c'est sûr, il n'y a pas un "poil" d'invention dans ce qui est narré comme un conte (pas de fées mais de faits).

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  3. J'aime cette histoire et là je suis restée sur ma faim , une suite , il faut une suite !

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    1. Ben la petite fille c'est moi; une vie rangée, faite de travail d'instit et d'agricultrice, de voyages et diverses activités, une vie bien remplie, puis une retraite solo employée à "montagner" entre autres. Bisous

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  4. L’amour de la rando et de l’insolite est né ce jour là, une belle tranche de vie. Tu n’as pas changé, aurais-tu encore une âme d’enfant ? Je ne devrais même pas poser la question…. Bonne nit, Josy.

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    1. Une âme d'enfant moi ? hihi....On l'a tous un petit morceau de notre âme d'enfant; toi aussi tu dois avoir quelques restes. Bisous

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  5. Amedine, je me retrouve un peu dans ton récit, chez moi, c'était la plaine mais j'aimais aussi courir les chemins et quelquefois je reparais un peu des cabanes de pierres. Merci pour ce récit .🙂

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    1. Quel dommage qu'un nom ne suive pas ce joli commentaire, pour savoir à qui j'ai fait parler ses souvenirs

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