lundi 8 juin 2020

Marcelle

Quand je marche en montagne, j'ai l'impression d'être dans une vaste cathédrale dont les murs seraient les pentes, les piliers: les rochers, la voûte: le ciel immense et pour le reste, les ruisseaux, les lacs,les fleurs, les arbres ou les animaux sont autant de tableaux, vitraux, statues et sculptures. Et puis il y a la musique des orgues, le vent, les cascades, le tonnerre aussi...Le silence en fait partie de cette vaste cathédrale dont les murs reculent au fur et à mesure que j'avance, que je monte..
Dans cette cathédrale aussi vaste que le paysage qui m'entoure, c'est très peuplé. Le monde de mes pensées, de mes réflexions, à voix haute parfois. Le monde de mes dialogues avec la roche, les animaux, ou avec moi même.

Un coeur de velours déposé sur le sentier

Et puis j'ai des compagnons de route, invisibles, silencieux, qui n'appartiennent qu'à moi seule, les âmes de défunts qui font partie de moi. Ce n'est pas un monde de folie, c'est un monde de douceur. Je les porte en moi et c'est là bas que je leur parle. Jamais en bas, en bas c'est trop peuplé, bruyant, agité, pour y trouver cette sérénité qui ressemble à une communion.
Les défunts qui me sont, me furent, très proches, je sais qu'ils nous accompagnent pendant deux ans, et puis un jour, ils lâchent prise, ils lâchent notre main qu'ils continuaient à tenir, pour nous soutenir; alors ils entreprennent vraiment leur dernier voyage, celui dont on ne revient jamais. Mais il faut avoir été très proches, il faut qu'un lien très fort ait existé pour que cela perdure ainsi. Mon père m'a accompagnée pendant deux ans, le temps que je finisse de grandir sans lui. Nous avions de beaux dialogues en montagne, immatériels, une conversation différente "d'en bas". Moi vivante, je mettais des mots, lui, il mettait des signes. Ainsi j'ai fait un bout de chemin avec lui. Je lui racontais la vie d'en bas, je lui donnais des nouvelles de tous, je lui demandais un conseil, tout cela fonctionnait très bien, jusqu'au jour où sans un signe il a lâché prise et est parti.

Matin en montagne
Marcelle, je l'ai connue il y a près de 40 ans, en montagne. Nous nous sommes adoptées immédiatement. Qui n'aurait pas adopté Marcelle? Plus compliqué est m'adopter, elle l'a fait et cette amitié est restée fidèle au delà de la fin. Vingt ans de plus que moi. On se sentait soeurs. Ames soeurs car on se ressemblait tellement.

Marcelle est partie récemment, pour son dernier voyage. On se sent perdue,orpheline .
Marcelle, une femme pétillante, dynamique, joyeuse, enthousiaste, hardie, casse cou, téméraire, généreuse, la liste ne serait pas longue. Juste interminable.
Marcelle est partie accompagnée par des tas de gens qui l'aimaient : eut elle imaginé cela ?
Peut être à ce moment là est elle partie dans un grand éclat de rire, ce rire qui était sa signature?
Marcelle est partie, son esprit par moments l'avait devancée, comme s'il cherchait le coin de montagne où il irait se poser. Allons savoir....
Les derniers temps, elle s'asseyait sur sa terrasse, face à la montagne et usait son regard à m'y chercher.
Après son départ, lorsque je suis retournée en montagne, une âme de plus s'était glissée en moi et je l'ai emmenée sur mes chemins de randonnée, entamant avec elle de longs monologues, lui faisant découvrir des sites originaux, elle la hardie, la curieuse, qui m'eut accompagnée "pour de vrai" si  ses vingt ans ne l'en avaient empêchée. Ceux de trop, veux je dire , car les 20 ans elle les avait encore, ceux de sa jeunesse.
Alors j'ai emmené Marcelle sur des neiges catalanes, elle a grimpé avec moi en crampons et piolets, on a rencontré des animaux, elle a foulé des terres catalanes ou françaises, enfin ce qui manquait à son palmarès de grande marcheuse, mais ces coins discrets, je les lui ai offerts.






Je lui ai offert une balade à Noël en Ariège, ma première vraie fausse sortie avec Elle. Elle m'avait emmenée au Mont Perdu par ses récits, je n'irai peut être jamais "pour de vrai"...

Comme cet arbre, elle a souvent plié mais la vie ne s'est pas arrêtée pour autant
En montagne, nous bavardions. Et comme Marcelle adorait rire et faire des facéties, et bien elle a continué, et je me suis bien amusée! Heureusement je guettais que personne ne se trouvât sur le sentier car j'eusse peut être fini ma course en ambulance ! Les fous dans la Nature...
Elle m'a expliqué comment c'était là haut : Elle a aidé tant de vivants, les a entourés, soutenus, elle avait toute une bande de copains en bas, et bien, là haut elle m'a prouvé que c'était pareil et toute une bande incongrue est venue à ma rencontre sur un sentier, dans les airs, pour me dire haut et fort "on rit, on s'amuse, on danse". Je suis sûre, à présent,  que la championne de patinage artistique a formé une troupe là haut, et que ça ne s'ennuie pas ! Je me suis même demandé si elle avait emporté et offert au ciel les bourriches d'huîtres de son pays natal dont elle me régalait autrefois.

Et puis un jour, la vie a eu raison
de cette battante
Ah Marcelle, depuis le confinement je peine à te retrouver..Je ne t'ai pas oubliée, toi non plus tu ne m'as pas oubliée, mais il faut que tu reviennes faire un tour au ciel de mes balades, on n'a pas refermé le chapitre "Rires et Gaieté" !
Mais quand même l'autre jour, dans ma randonnée solitaire, au sein de ce paysage brun et austère, ce petit coeur aux nuances de rose, un pétale incongru venu d'on ne peut même imaginer où, je suis sûre que c'est toi qui est venu le déposer avant mon passage. Frais cueilli, doux et lisse, un petit coeur de satin...Je l'ai touché, caressé, senti, et re déposé sur son lit de feuilles de chêne brunes, parce que je ne pouvais pas l'enfermer dans mon sac. Tu n'aurais pas supporté, tu aimais les grands espaces, tu y es restée.


A bientôt Marcelle !

(Ecrit dans ma tête, en marchant, dans ces montagnes qui nous sont chères. Carança, 1er juin 2020)




6 commentaires:

  1. J'avais laissé un message mais pour la énième fois je n'ai pas été foutu de publier sans faire la p... de fausse manœuvre qui efface tout..! Comme j'avais écrit avec beaucoup d'émotion un texte particulier ..je me demande si je sais revenir au texte initial sans me fourvoyer..???

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  2. Même si je sais que je suis un homme sensible et que je n'ai pas honte des larmes (c'est aussi bête de dire un homme ça ne pleure pas que de dire une femme c'est fait pour les travaux ménagers..une autre époque)
    Donc je disais que malgré avoir chaussé mes loupes qui me servent de lunettes.
    .il est arrivé un moment où la lecture de ton texte m'est devenue impossible..
    Et oui,les larmes formaient une barrière entre mon coeur et tes mots et me faisaient prendre conscience que mon émotion reflétait l'authenticité de tes dires.
    OUI toi aussi tu cultives l’AUTHENTIQUE ( plagiant une réplique d'un film tiré de Pagnol)

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    1. Je ris oui je cultive les Lothentiques, ces plantes qui ne poussent que dans les jardins secrets que chacun sait cultiver, dans l'eau, sur la terre ou dans le ciel. Des textes, j'en publierais bien davantage mais j'ai tellement peur que le ridicule finisse par ruer, me tuer, et alors qui m'emmènera dans les montagnes pour discuter ?

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    2. Par tuer et non ruer...ah ces doigts trop lourds pour ma plume !!

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  3. Le ridicule n'est pas un Minotaure qui pourrait ruer.
    Et quand bien même tu parviendrais à vouloir nous quitter.Tu aurais pour t'accompagner vers les cimes tous tes parents tes vrais amis et tous ces chats que tu as aimé et soutenu jusqu'au bout.... Et qui à eux seuls te porteraient dans leur jardin d'Éden pour un ultime câlin.!!

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    1. C'est vrai , je le verrai mais ne pourrai en témoigner, la mort reste le grand mystère de la vie

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