Quand on est comme moi d’un pays où il ne pleut pas, la
première pluie après des mois d’absence est comme une offrande. A la maison je
n’aime rien autant que l’entendre la nuit. Elle n’est juste perceptible que par
des « glou glou » dans la gouttière du toit , ou plutôt des « flic
floc » sur deux tons. Tout ce que je détestais quand je travaillais car l’école,
sous la pluie, c’est l’horreur. Tout est sale et noyé ; les récréations
sont des pataugeoires et les élèves en reviennent mouillés, énervés, raclant les
pieds et déposant des mares d’eau partout. Sans oublier les odeurs…
La pluie du jour, on la voit arriver, en voiles gris courant
le long des montagnes. On perçoit la stupeur, le frémissement de la terre, les
parfums avant même qu’elle soit là. Ou bien elle arrive du nord, une couverture
de laine blanche qui s’approche, épaisse, compacte, effaçant le paysage
lointain puis les plans rapprochés de vignes et de bois. Enfin elle est là,
pressée d’en découdre, froide, obstinée, épaisse, enveloppante, dense. On sait
qu’elle peut être davantage qu’une averse .
Celle d’orage est encore différente. Puisque avant de la
voir on peut l’entendre. C’est celle des cataractes, des coups de boutoir,
aidée en cela par le vent, celle des gouttes énormes qui deviennent animaux ou
monstres, au ralenti, figées par la photo.
Celles qui feront des ruisseaux d’eau claire et mousseuse
puis d’eau brune chargée de limons. Celles tièdes qui font fumer la route et
crisser les feuilles. Celles qui s’en vont aussi bruyamment et brusquement qu’elles
sont arrivées. La pluie tiède de l'été.
Et puis il y a celle de la nuit sur la carrosserie de mon
fourgon, celle qui reste ma préférée, celle que j’allais parfois chercher au
bout de trois heures de route juste pour la savourer, me reposer. Une pluie de
montagne, une pluie océane, fine, impalpable, qui mouille et traverse qui s’installe,
calme et obstinée, dont on se demande si elle va un jour cesser… Celle qui entraîne
une pluie de feuilles. Celle qui ne peut qu’engendrer la sérénité.
Justement, cette nuit là, à Ax les Thermes, sous les grands
arbres du parc j’entendais sur le toit du fourgon tomber ce que je pris d’abord
pour des feuilles. Il n’y avait pas un souffle de vent, mais je pensais que les
feuilles choisissaient la nuit pour mourir. Floc…floc…de ci…de là…puis l’averse
s’est installée, fin chuintement régulier et obsédant sur le toit. Ce n’étaient
pas les feuilles, juste de grosses gouttes
nées de la brume qui chutaient lourdement.
A présent la chanson, sur le toit, est à plusieurs tons. Les
grosses gouttes, chacune avec un son et un emplacement sur la portée musicale
du toit et celle, en fond, atone, de la fine pluie d’hiver.
Oui, c’est le confluent de deux saisons sur l’Ariège, même
dans la pluie…
J'aime cette chanson nocturne de la pluie parce qu'on ne voit rien , on la devine seulement à la musique; elle tient éveillé comme peut être dans le Désert les rares pluies ont le goût d'un mets oublié. Enfoui dans la mémoire mais prompt à resurgir, avec délectation et gourmandise...
La pluie de dimanche à Vallter, en Espagne, dans les montagnes où j'avais élu domicile fut un moment d'une rare saveur...
La nuit était noire, épaisse, enveloppée de brume et de silence au pied des pistes de ski, juste secouée à intervalles par des bourrasques de vent du sud qui malmenaient mon habitat et mon sommeil. Dans la nuit ce fut comme une gifle accompagnant la bourrasque, une griffure de milliers de grains de sable fin qui giflait la carrosserie et m'intriguait. D'où venait ce sable ? La noirceur de la nuit ne m'apportait aucune réponse. Alors j'écoutai..Me surprenant à penser que j'étais en plein océan, sur un îlot. Curieuse impression à 2000 m d'altitude. Le vent s'en alla heurter les montagnes et revint le silence. Jusqu'à la prochaine vague... Intriguée j'entr'ouvris la porte et une pluie fine me sauta au visage, dense et si fine à la fois qu'elle n'était que silence. Une pluie qui, quelques mètres plus haut dans le ciel n'était que des millions de papillons de neige. Ce qui expliquait sans doute son impressionnant silence...
Encore un inhabituel visage de la pluie que je découvris. Sans doute y en aura t'il d'autres.
La pluie est une poétesse qui sait nous enchanter. Qui peut aussi hélas nous abîmer...
Que dire sur ce recit...j'arrive à en chercher les mots justes.. un doux fremissement de plaisir et de quiétude en lisant tes lignes,un apaisement général, un bonheur que l on ressent lorsque quelques mots choisis avec justesse apaisent d'une longue journée.Je ne dirais que quelques mots bravo, encore, et surtout merci, merci pour ce plaisir des yeux, merci pour le vivant du recit que l on vit avec toi.. Alors vite la prochaine escapade avec des mots bien à toi et l'imagination galopante du lecteur à te lire.... trés grosses bises jmichel
RépondreSupprimerVoilà 2 ans que je n'avais rien écrit sur ce blog, me consacrant à l'autre "Les balades de Lison" mais l'envie de laisser courir ma plume me chatouillait. J'ai peur d'être ostentatoire dans mes émotions, c'était le coup de frein... J'ai écrit ce texte en grande partie à Ax...sous la pluie .Bisous
SupprimerToujours parfaitement dit et si bien illustré! La pluie douce et tiède qui berce et permet de rêver, la pluie bienfaitrice qui régénère, la pluie effrayante qui emporte tout....Je me souviens avoir accueilli avec bonheur la pluie lors de mon départ pour Compostelle comme un présage .
RépondreSupprimerIl existe en espagnol un texte saisissant de beauté ; c'est extrait de "La casa de la Troya" de Perez Lujin; il s'agit de "la lluvia en Santiago" la pluie à St Jacques de Compostelle; je le savais par coeur, je crois que c'est lui qui me fit aimer la pluie. merci pour ton témoignage
SupprimerSaisissant récit pleins de poésie qui me fit aimer la pluie un moment . Moi qui la redoute tant lors d'orages et de tempêtes , ces grosses gouttes qui fracassent tout .merci beaucoup avec de belles illustrations. .mais je préfère la neige légère et si magique ...bises
RépondreSupprimerBonsoir ... Jolie façon de parler de la pluie, tout en poésie !!!
RépondreSupprimerDoux w-e, bisous et câlins aux Félins