Village de Queralbs ( Espagne ) Avril 2012, soir de pluie |
La vieille fille
Ce texte est vieux de un an; évidemment, depuis, j'ai évolué et je ne saurais l'écrire aujourd'hui car je ne suis plus dans cet état d'esprit. Cependant je l'aime car il est l'écho profond d'un ressenti tout aussi profond. Je ne suis plus cette vieille fille que je m'acharne à dépeindre; je suis une femme qui apprécie, tout simplement son indépendance.
Qu'en penserai-je dans un an?....
Je
suis une vieille fille.
Je
ne l’ai pas toujours été puisque j’ai été mariée pendant quelques décennies.
Mais je le suis devenue. Et il semblerait que j’aie vite rattrapé le temps perdu.
J’ai
été une jeune fille, il y a fort longtemps. Jeune et relativement soumise,
juste ce qu’il fallait pour me rendre acceptable. Mais profondément rebelle à
l’intérieur. Et peut être pas vraiment acceptée.
Je
me suis vite mariée et j’ai été encore plus soumise ; toujours
profondément rebelle, mais encore plus à l’intérieur, parce que j’avais relégué
ma rébellion au plus profond de moi. Enfouie, étouffée, assoupie, mais pas
endormie.
Le
jour où je me suis rebellée pour de vrai, et pour de bonnes raisons, j’ai quitté mon mari.
La
jeune fille était bien loin derrière moi et la vieille fille n’avait pas encore
montré le bout de son nez.
Je
suis une vieille fille ; c’est
vrai, je suis fille, ça c’est indéniable. Et vieille aussi, ou presque ;
en tout cas aux portes de la vieillesse.
Cela
fait un drôle d’effet de se retrouver seule pour la première fois de sa vie
après plus d’un demi siècle de vie en compagnie : compagnie des parents,
puis du mari et de la famille qui va avec. Et tout à coup, du jour au
lendemain, puisque ce fut le cas, seule face à soi-même.
Seule
face à l’absence, au silence, à la violence et à la souffrance, aussi, à la
vie, aux aléas de la vie. Pour moi, la jungle : enfer glauque aussi bien
que lumière de la découverte.
C’est
un vrai vertige. Mâtiné de joies, de peurs, d’incertitude, partagées avec leur
contraire, une certaine forme d’exaltation, la liberté, l’insouciance, qui est
souvent une sorte de voile que l’on pose devant son regard effaré pour ne pas
voir car on est assaillie de tant d’émotions, de sensations, qu’il faut parfois
faire le break. Pause ! On dit « pause » ! Le temps de
digérer.
Puis
on repart sur une route à parcourir seule pour un tour du monde, le monde qui
nous entoure et que l’on ne rencontre plus à deux, mais à un tout seul, à une
toute seule, un tour du monde, celui qui est à notre porte et qui nous devient
aussi inconnu que les horizons lointains où on est libres de ne jamais aller,
tandis que dans celui-ci, de monde, on est obligés d’y mettre les pieds et tout
le reste.
Et
on marche vers un destin auquel on ne se sentait pas destiné : celui d’une
nouvelle vie, à deux, ou bien celui que j’ai fait mien ou qui est devenu mien,
car en suis-je totalement responsable ?, celui de la vieille fille que je
suis aujourd’hui.
Je
suis une vieille fille.
Parfois
je m’en glorifie, comme d’un défi.
Parfois
je m’en désespère, comme d’une lèpre qui collerait à ma peau.
La
vieille fille que je suis devenue ne reconnaît pas dans son effrayante solitude
la femme vieillissante qui fut un jour d’hiver avant Noël larguée sur un bord
de route et soulagée de l’être, de se retrouver seule avec soi même et surtout
en paix. C’est si loin…
Après
un long cheminement chaotique de quelques années, je pense être dans la version
définitive de cette femme et de sa vie future : un grand, un immense
désert affectif, social, semé de quelques riantes oasis : mes randonnées
en montagne, mes petits « voyages » de deux jours, où un autre monde
s’ouvre à moi. Et la plénitude de mes chats. Mais ici ? c’est quoi mon
ici, mon présent de vieille fille ? Une longue descente en pente douce
vers le déclin, la vieillesse et la mort. Un choix raisonné mais pas raisonnable,
puisqu’il génère en moi une sorte de vertige. Et je m’y complais comme en une
autopunition qui devrait ne jamais cesser.
C’est
cela qui me fait peur, cette sorte d’autopunition que je m’inflige, en une
lente et morbide destruction, en un matraquage de mon physique et de mon
mental.
C’est
quoi, être une vieille fille ? Cela pourrait être celle qui « met du
vieux pain sur son balcon pour attirer les moineaux, les pigeons », comme
le chante si bien Goldman dans cette chanson qui terrifiait mes débuts de femme
seule. Et j’y ai glissé sournoisement, insidieusement, sans m’en apercevoir,
presque malgré moi, et à mon insu.
Je
ne mets pas du vieux pain sur mon balcon, je vis avec mes neuf chats en un tête
à tête qui me sied de plus en plus –et à eux aussi-, ce sont ma famille, mes
amis, mes enfants, mes compagnons. Et ce qui est pire, c’est qu’ils me
suffisent.
Le
monde des humains me rebute, me fait peur, me fait fuir.
Aujourd'hui,
c'est selon... c'est le déclin...je suis en décalage, encore et toujours, avec
mon âge: parfois j'ai davantage, parfois moins. Ce sont les agréments de la
vie, de ma vie.
Quand
j'ai divorcé, je me suis sentie comme une jeune fille, une adolescente, face à
ma liberté non pas retrouvée mais abordée pour la première fois. Quelques
amants plus loin, je me suis sentie femme; bien des désillusions plus loin, me
voici devenue vieille fille.
Quand
j'ose l'avouer, on me répond, péremptoire: « tu n'as pas le
profil! ».
Alors,
que croire? Qui croire?
Me
voici, ce soir, encore une fois, loin de chez moi, avec mon camion, la nature
et mon chat.
Ce
soir, c'est Canal du Midi, parce que je suis fatiguée par des travaux agricoles
intenses et de saison. C'est comme j'aime, à une exception près: le temps est
très maussade. Pas de saison en tout cas! Sinon, mes pérégrinations de fin de
semaine sont assez variées. Ici perce la vieille fille: je suis incapable de
partir en semaine, même si le temps est étincelant, estival, propice au voyage
ou à la randonnée. Non, formatée comme je le suis, conditionnée par des années
de labeur, je ne sais que m'octroyer le droit de m'évader en fin de semaine;
autrement, je voyagerais avec une grande dose de culpabilité dans mes maigres
bagages.
Alors
je passe de plus en plus de week ends à la maison parce que le temps est de
plus en plus maussade. Suis je sotte!
Mes
pérégrinations de femme libre ou libérée, c'est selon, me conduisirent du Rhône
à l'Atlantique, des Calanques à la Lozère, du Cantal à l'Espagne, des fonds
marins aux sommets enneigés, des lacs étincelants aux déserts des Grands
Causses, de l' Aquitaine verdoyante aux gorges vertigineuses des Causses, et
j'en oublie... J'irais bien plus loin ou au delà, ou ailleurs, mais...mes
chats, n'est ce pas? Mes pires geôliers, mes meilleurs alliés aussi...
Ces
pérégrinations, en tête à tête avec moi-même puis avec mon chat, me font voir
du pays mais pas forcément du monde. Je vis en solitaire, de plus en plus et
isolée des autres, de plus en plus farouchement seule, également. On aborde difficilement quelqu'un
de seul et au restaurant, on lui propose parfois, c'est un comble! , un
« petit coin tranquille », ce fameux petit coin qui fait hurler
d'horreur intérieurement et fait courber la tête, silencieusement, parce qu'on
se sent gênée, ou bien que l'on fait peur? Voire horreur? Aujourd'hui, j'ai le
courage de répondre: « si c'est pour être aussi seule qu'à la maison, je
préfère manger chez moi! », en refusant avec un sourire le petit coin
tranquille...Vexée, néanmoins.
Cela
ne m'était pas arrivé, jusqu'à cette année, de me sentir vieille fille. Je me
suis sentie gaie, triste, lourde, légère, enthousiaste, démoralisée, exaltée,
assommée, et j'en passe, selon les jours, les évènements, les moments et même
les saisons. Mais jamais encore dans la
peau d'une vieille fille. Je crois que se sentir vieille fille, c'est comme si
les émotions se gommaient, se diluaient dans la fadeur des jours, jusqu'à ne
devenir que de pâles aquarelles délavées par le temps. C'est cela: deviendrais
je une pâle copie de ce que je fus, une évanescence de mes émotions? Ce serait bien triste que cela m'arrivât, à moi
la bouillonnante, la turbulente, la vivante, la dévoreuse de vie! C'est moi,
cette espèce d'âme en peine errant parfois de la cuisine au salon, de la vigne
au jardin? C'est moi, cette furie qui matraque les végétaux et surtout les
mauvaises herbes comme si je faisais le ménage d'un taudis, ou de ma propre
vie? C'est moi, cette étrangère à moi-même qui ne se reconnaît pas dans cette
vieille fille désenchantée qui n'arrive plus à retrouver sa fureur de vivre?
Quelle affliction! Surtout ne pas devenir celle qui avait peur, il y a six ans,
de se poser un jour la question: « La liberté pour quoi
faire? ». non, de cela je n'en veux pas....
Mais
devenir vieille fille, pour l'heure, c'est se sentir de plus en plus mal au milieu
des gens, c'est sentir une boule d'angoisse dans la gorge et une rosée de sueur
sur la peau à la seule évocation d'une sortie qui m'est proposée, ou pourrait m'être proposée, c'est ne me voir,
ne m'imaginer que dans des lieux déserts, écartés, oubliés, de ces lieux beaux,
séduisants, où je ne suis qu'en
relation duelle avec la nature ou avec moi même. Devenir vieille fille, ou
l'être déjà, c'est avoir glissé à mon insu dans une sorte d'isolement qui ne me
dérange pas, mais me fait froid dans le dos lorsque je le regarde en face.
Lorsque je pose sur moi et sur ma vie, ma façon de vivre, un regard effrayé.
Que
dirais-je, que penserais-je si cela était quelqu'un d'autre que moi que je
regarde vivre ainsi? Je ne dirais peut être pas que c'est une vieille fille, je
dirais sans doute que c'est une pathologie!
30
septembre 2012
Ce
texte écrit il y a un an ne répond déjà plus à ce que je suis
aujourd’hui : je ne me sens plus vieille fille , je me sens en pleine
harmonie avec moi même, la solitude me sied, je la porte comme une bannière
flottant au vent et pour rien au monde je ne troquerais mon statut de
« vieille fille » (d’hier) ou de « femme libre »
(d’aujourd’hui) contre une vie à deux à laquelle je n’aspire pas, fut elle pour
« rentrer dans le rang » ou échapper à une « vieillesse
solitaire »….
10 septembre 2013
Changer aussi brutalement de vie, demandait un moment pour l'adopter et vivre les bons côtés.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup cette dernière phrase, très très belle. bravo.
Changer, surtout à 56 ans, demandait une adaptation; cela s'est fait dans la durée, on n'a plus les mêmes projets qu'à 40 ans. Plus jeune, j'aurais rebondi autrement, peut être dans une optique de reconstruction de couple.
SupprimerLa dernière phrase "une pathologie" veux tu dire? Je garde toujours un regard critique sur moi même et une autodérision: c'est thérapeutique et salvateur. je t'embrasse Laurence et bon WE à toi.
Je n'avais pas pensé que l'on pouvait redevenir une "vieille fille" dans ce contexte-là. Tu l'expliques et l'exprimes très bien, Lison. Mais je suis heureuse que la "vieille fille" t'ait quittée et ait laissé place à la "femme libre" ! Une femme libre pleine de ressources, de talent, de Vie ! Merci à toi, Lison, pour ce partage, et gros bisous.
RépondreSupprimerOui, la vieille fille ne vécut qu'un temps; en fait je suis en perpétuelle évolution, n'en déplaise à une ancienne "relation" qui me dénigre et me voit figée à perpétuité: quelle condamnation! Bises
Supprimer, décidément, je découvre tes articles les uns après les autres et ... faut les digérer !!! ils sont forts et j'étais angoissée à la lecture et puis il y a eu sept 2012, et la photo magnifique de sept 2013...
RépondreSupprimerbon comme le soir j'ai peu de temps,... je m'en vais discrète réfléchir à tes écrits...
Tiens REBELLE, le titre de mon nouveau blog... et pas pour rien ! ah bon tétais REBELLE, comme moi :-) !!!
Rebelle, oui, je le fus, je le suis et le serai sans doute jusqu'à la fin de mes jours.
RépondreSupprimerMon père me disait toujours "quand seras-tu raisonnable?" et je lui répondais "à l'âge où toi tu le seras"; à 86 ans il est mort sans être devenu raisonnable, donc...pour moi c'est une sorte de rebellion que de n'être pas raisonnable. un antidote à l'ennui toutefois; je t'embrasse